De l'automne

Publié le 22 septembre 2009 par Feuilly

On nous l’avait bien dit dès les premiers bourgeons en avril, que cela ne durerait pas et que l’automne, inexorablement, finirait par arriver. Je le savais pertinemment aussi et pourtant j’avoue que c’est d’une oreille distraite que j’ai écouté tous ces annonciateurs de mauvaises nouvelles, tous ces prophètes de mauvais augure, moi pourtant si vigilant et si peu porté aux extases injustifiées. Certes, je savais que le ver était dans le fruit depuis le premier jour de l’été, à savoir le vingt et un juin, mais je me suis dit qu’il fallait tout de même profiter un peu de ce qui nous était donné, même si c’était pour une durée fort limitée. Et il faut reconnaître que la période estivale fut belle et largement ensoleillée et que cela aurait été dommage de ne pas se comporter en épicurien, fut-ce temporairement.

Mais voila qu’hier le calendrier nous a asséné la vérité inexorable : l’automne est là et bien là. Ce n’est plus qu’une question de jours avant de renouer avec le vent et la pluie et même si le soleil nous gratifie encore de quelques rayons, les arbres vont prendre inexorablement cette couleur jaune et or si caractéristique avant de se replier sur eux-mêmes et de camoufler dans leurs racines tous les rêves dont ils sont capables.

Ceci dit, fin août déjà, alors que la température atteignait encore les trente degrés, quelques petites feuilles jaunes provenant d’un bouleau du voisinage étaient venues se regrouper sur ma terrasse, annonçant discrètement mais inéluctablement le désastre qui se préparait. Depuis, cela ne s’est pas amélioré. Il y a eu quelques nuits fraîches, un peu de pluie, rien de bien sérieux en fait, mais juste ce qu’il fallait pour nous avertir que les beaux jours étaient désormais derrière nous.

Ainsi en va-t-il dans la vie, bien entendu. Adolescents, nous savions déjà que l’histoire se terminerait mal et c’est avec délectation que nous lisions Nizan et d’ailleurs nous approuvions fort sa phrase : «J’avais vingt ans. Je ne laisserai personne dire que c’est le plus bel âge de la vie. »

Lucides, nous l’étions donc tous, enfin la plupart ou du moins quelques-uns. Dans des cafés enfumés, nous discutions jusqu’à l’aube et refaisions le monde, lequel pourtant ne s’est guère amélioré depuis lors, au contraire (il faut croire que nous n’avons pas assez discuté…)

Mais à côté de cet échec sur l’organisation de la société idéale (il faut bien parler d’échec puisque le monde actuel ne correspond en rien à celui que nous avions rêvé et que nous conservons toujours enfoui au plus profond de notre cœur) il faut ajouter notre absence de clairvoyance sur notre devenir. Certes nous nous savions mortels et nous invectivions les dieux de nous avoir joué un aussi mauvais tour, mais quelque part nous parlions de ces réalités d’une manière par trop détachée car nous savions au fond de nous que l’échéance n’était pas pour demain. Nous discourions, en quelque sorte et nous discourions bien, il faut en convenir, mais cette angoisse existentielle qui nous nouait tout de même les tripes trouvait une certaine consolation quand nous pensions qu’un bon demi-siècle au moins s’ouvrait devant nous.

Or le temps a passé et de même que quelques feuilles mortes nous annoncent l’automne, de petits signes physiques encore discrets nous font comprendre qu’une bonne partie du chemin est maintenant derrière nous. Nous voilà donc à un tournant, à l’équinoxe de notre vie, en quelque sorte. Le bel automne s’installe lentement en nous et c’est même avec un certain émerveillement que nous en admirons les splendeurs. Maturité, tempérance, raisonnement bien assuré, tout ce que nous avons patiemment acquis au cours de notre existence rayonne maintenant de mille feux.

Mais que se passera-t-il demain ? Demain ce sera l’hiver pour de bon, un hiver éternel qui ne sera suivi par aucun printemps. Alors, dans la lucidité qui nous restera, nous nous demanderons le pourquoi de tout cela. Quel aura été, en effet, le sens de ce parcours ? L’enfant de deux ans dont je parlais hier et qui se dressait dans son lit dès les premiers rayons du soleil afin de conquérir le monde et de ne pas perdre une minute de cette vie qu’on venait de lui offrir sur un plateau, cet enfant, dis-je, qu’a-t-il réalisé, dans le fond, qui en valait vraiment la peine ? Et s’il peut aujourd’hui, dans le panache de l’automne qui s’annonce pour lui, admirer une dernière fois les beautés de l’existence, que lui restera-t-il demain quand l’hiver sera venu ? Il lui restera la honte de n’avoir pas été assez lucide.

Avec le temps qu'arbre défeuille
Quand il ne reste en branche feuille
Qui n'aille à terre
Avec pauvreté qui m'atterre
Qui de partout me fait la guerre
Au temps d'hiver
Ne convient pas que vous raconte
Comment je me suis mis à honte
En quelle manière …