Pour être franc, je n’ai jamais été fou de Renoir, je l’ai respecté certes, mais pas vraiment aimé. Je n’ai guère d’attrait pour son idéal de beauté féminine, ronde, plantureuse et hébétée, pour ses nus et ses portraits où tout est dans la forme, le rendu, la beauté apparente et où rien ou presque ne transparaît de la vérité du personnage. Regardez La Source, et, au delà de la beauté des formes luxuriantes du modèle, tentez vainement de saisir une ombre d’intelligence, de personnalité, de distinction. Allez voir le portrait de Christine Lerolle, femme charmante par ailleurs, et méditez sur sa placidité bovine et soumise. Même la sulfureuse Misia Sert ci-dessous a l’air chez Renoir d’une sage petite poupée.
Ce peintre n’est guère un homme de son temps; à l’heure où le monde gronde, lui ne se préoccupe que de décoration, d’embellissement (”égayer les murs”), sourd à tout ce qui n’est pas sa peinture. Impressionniste et féru des classiques, il est pourtant présenté dans l’exposition actuelle du Grand Palais (jusqu’au 4 janvier) qui montre son travail au XXème siècle (en fait de 1890 à 1919) comme un annonciateur de la modernité. Autant, pour moi, Cézanne ou Rodin sont de vrais précurseurs de l’art du XXème siècle, autant je dois dire que je n’ai pas été très convaincu par la démonstration : même si Renoir a vécu les 19 premières années du siècle, il est resté dans un classicisme, une tradition qui regardent vers le passé, vers l’antiquité, la Renaissance, le XVIIIème français, mais qui n’annoncent en rien ce qui se passe déjà en peinture à ce moment et ce qui va suivre.
Il n’invente plus guère; je n’imagine pas Picasso (dont quelques toiles alibis jalonnent l’exposition) ou Bonnard (idem) ou quiconque dire, comme lui : “J’ai 50 ans sonnés depuis 4 jours et si, à cet âge, je cherche encore, c’est un peu vieux. Enfin, je fais ce que je peux.” Un extrait bien triste d’un film de Sacha Guitry de 1915 (Renoir a 74 ans) le montre les mains déformées par l’arthrose et ayant les plus grandes difficultés à tenir un pinceau, mais essayant quand même; j’ai alors pensé à Matisse qui, handicapé par la maladie, tout aussi incapable de peindre, invente alors de nouvelles pratiques et réalise de superbes collages. Renoir a peint très peu d’autoportraits (cinq, je crois) et l’Autoportrait de 1899 qui est présent dans l’exposition est une des toiles les plus prenantes, non pas tant parce qu’on a du mal à réaliser que ce vieillard n’a que 58 ans (et, paraît-il, Julie Monet, la fille de Berthe Morisot et nièce du peintre, le convainquit-elle d’atténuer les marques de l’âge) mais surtout parce que c’est un des rares tableaux où la vérité du modèle ressort, où on peut lire derrière les traits usés quelque chose de sa personnalité, de sa force et de son acuité.Pour moi, le choc est survenu quand j’ai vu côte à côte La Loge de Bonnard (1908) et deux Renoir de 1910 ‘M et Mme Gaston Bernheim de Villers’ et surtout Mme Josse Bernheim Jeune et son fils Henry. Ce sont les mêmes personnages, les deux frères Bernheim, Josse et Gaston, et leurs femmes, les soeurs Mathilde et Suzanne Adler. Renoir les peint assis dans leurs salons, Bonnard les regroupe dans une loge de théâtre au drapé rouge dramatique; les poses chez Renoir sont directes et classiques, alors que Bonnard compose une scène contrastant les deux couples et faisant sortir du cadre la tête de Josse. Mais c’est la différence de touche qui m’a frappé : celle de Renoir est franche, directe, elle respecte le dessin, elle est évidemment classique, alors que celle de Bonnard est indécise, subtile, évanescente, mystérieuse. Bonnard, né 26 ans après Renoir, est déjà un peintre du XXème siècle; Renoir reste un classique, un grand classique sans nul doute, mais un classique.
Cette exposition est l’occasion de voir de superbes Renoir; pour ce qui est de sa modernité et de son appartenance au XXème siècle, je n’ai pas été convaincu. Un des livres relatifs à l’exposition (à 18.05 euros) est disponible chez Dessin Original, en attendant le catalogue.
Photos 1 et 5 courtoisie de la RMN.