Je peux difficilement m’en empêcher… Sitôt sorti de ma librairie préférée (les Cahiers de Colette, rue Rambuteau, pour tout vous dire !), je me dirige sans tarder vers les tables en terrasse à l’angle de la rue du Temple (pour qui connaît…). La suite dépend de mon humeur. Et des hasards des publications. Parfois aussi des aléas climatiques. Car je passe en revue, minutieusement (il m’arrive de les feuilleter en diagonale), les cinq ou six romans qui, trois minutes plus tôt, me semblaient être des ouvrages tout à fait extraordinaires. Sans vraiment regretter mon achat, il m’arrive d’être, alors, immédiatement déçu par l’un d’entre eux, au point, - j’ai honte de le dire -, de n’avoir même plus envie de m’y intéresser, une fois de retour chez moi. Parfois aussi, heureusement, c’est comme un éblouissement. L'autre samedi, peu avant quinze heures, c’était le cas ! Je venais d’ouvrir la première page du texte de Dominique Noguez sur Marguerite Duras :« Duras, toujours » (Ed. Actes Sud). J’ai tout de suite soupçonné que je ne rentrerais pas chez moi sans en avoir lu la dernière… Et je ne me trompais pas ! Alors ceci, pour le plaisir, encore une fois : «
Et puis surtout j'ai relu les passages mythiques d'India Song, celui-là, par exemple, accompagné un instant du fameux air au piano qui porte le même titre : VI. - Elle était arrivée tard à ce bal... au milieu de la nuit... habillée de noir... Que d'amour ce bal, que de désir. V2. - Cette lumière? VI. - La mousson. V2. - Cette poussière? VI. - Calcutta central. - L'air s'arrête sur un arpège égrené. -V2. - Il y a comme une odeur de fleur. VI. - La lèpre... (Silence.) V2. - Où est-on? VI. - L'ambassade de France aux Indes. V2. - Cette rumeur ? VI. - Le Gange... (Silence.) Ou cette phrase, un peu plus loin, belle comme un vers de Racine revu par Paul Morand: Une Lancia noire file sur la route de Chandernagor... Et je me suis retrouvé aussi envoûté qu'au premier jour. Et, revenant sur les textes de la fin, je me suis dit qu'eux aussi, même avec leurs faiblesses, évoquaient la splendeur des grands textes de la maturité, comme, d'une femme âgée, on se dit, à une certaine douceur du sourire qu'elle a gardé, à une certaine grâce qui est restée malgré les rides: "Comme elle a dû être belle !" Et, pour terminer sur ce mot ambigu, voilà ce qui est aveuglant chez Duras, Duras voyeuse, voyante et visionnaire: ce n'est pas, quelquefois, l'écriture; c'est la beauté, la beauté si souvent.
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