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Il faut toujours se méfier des dj’s qui affectent la branlouze attitude, genre nonchalance casquettée, cernes raybanisées et hygiène corporelle douteuse. Sous leurs airs de slackers electro se cachent souvent de redoutables workaholics du beat, des laborieux du cross fader qui ne connaissent pas la crampe. Armand Van Helden est de ceux-là : barbe de trois jours montée en série, the hardest working guy in da industry n’a pas pris de vacances depuis vingt ans de peur de perdre la cadence toute taylorienne qu’il s’inflige dès le début des nineties.
Ayant débuté sa carrière en même temps que l’explosion house, il pige d’abord régulièrement sous pseudo pour les labels séminaux Strictly Rhythm et Nervous Records, période pendant laquelle il peaufine sans relâche sa science du banger. Cette expertise du beat, le B-Boy Van Helden l’a acquise entre autres au travers de ses influences musicales premières à savoir le latin freestyle, le hip hop et la hip house. De ce fait, Armand est toujours demeuré fidèle à l’intention initiale de la house, à savoir faire bouger des fesses.
A l’instar d’autres producteurs de sa génération, on pense en particulier à Todd Terry ou Kevin Saunderson première période, Van Helden n’a que très rarement succombé à la tentation auteuriste, ce qui explique paradoxalement sa réussite artistique d’une longévité exceptionnelle : n’ayant jamais véritablement voulu partir à la conquête de notre salon à coup d’albums concepts à-message-super-important-à-délivrer-à-la-Terre-entière-sous-peine-d’apocalypse-imminente, il a, à l’inverse, constamment veillé à rester maître du dancefloor (et accessoirement de ta salle de bain, si tu as l’habitude de siffloter des loops et des kicks sous ta douche). En ce sens, son « œuvre » consacre le triomphe de l’approche fonctionnaliste sur le courant égotiste. En clair ses morceaux, et c’est ce qui fonde toute leur modernité, sont avant tout un enchaînement de routines et de gimmicks destinés à amplifier le sentiment d’urgence : sirènes, breakbeats, samples rap, cris divers, percus en avant sont autant d’injonctions à la danse qui démontrent la nature hardcore du son d’Armand. Son allégeance club est perceptible dès le début des années 1990, où il se fait repérer par les ravers d’entrepôt via son titre Witch Doktor.
Véritable cellule de veille des tendances club à lui tout seul, l’homme semble avoir voué l’entièreté de son existence au manque de sommeil et à la confection de tueries musicales à l’impact a posteriori (funk)phénoménal. Niveau remix, même topo, il transforme par exemple la plutôt diaphane Tori Amos en coach fitness toute en sueur. Nul n’étant prophète en son pays, l’influence du New-Yorkais est avant tout perceptible en Grande Bretagne où il fut à plusieurs reprises l’inspirateur/instigateur principal de nouveaux mouvements musicaux insulaires. En effet, à lui tout seul, il impulse le mouvement UK Garage (sous sa forme initiale de Speed Garage) avec sa relecture du groupe anglais insipide Sneaker Pimps, en important les infrabasses jungle dans le format house/garage 4/4.
Toujours à l’affut, il se lance à la fin des années 1990 à la conquête des superclubs de la planète en livrant sa version filtrée de la French Touch 1.0 dont résulte l’imparable You Don’t Know Me (avec tout de même un beat pompé au Plastic Dreams de Jay Dee). Notre homme a même collaboré avec notre Bangalter national sous le blaze Da Mongoloïds (bon ok pas la meilleure idée du monde…). Enfin prêt pour Ibiza, il passe l’orée des années 2000 à braconner sur les terres des superstars corporate de la house globale, les Erik Morillo et Roger Sanchez, jusqu’à s’échouer dans l’insignifiance totale malgré d’honorables tentatives de valorisation de ses racines hip hop.
Mais alors qu’il aurait pu continuer à se vautrer dans l’auto-complaisance et la vacuité cocaïnée (quelqu’un a dit David Guetta ?), Mister Van Helden rebondit en revenant à ses fondamentaux. Son album Ghettoblaster, sorti en 2007, porte en effet un regard à la fois nostalgique et renouvelé sur ses racines eighties latin freestyle et hip house et s’avère au final annonciateur des mutations dancefloor actuelles. Armand apparaît une nouvelle fois comme le parrain et le point d’intersection de toutes les tendances breakbeat et ghetto house du moment. Reconnecté avec la génération montante des Diplo, Sinden et Crookers, il réussit l’exploit de renouer avec ses origines et de demeurer un redoutable compétiteur du beat. Le bonhomme se paye même le luxe cette année d’être à nouveau au sommet des charts britanniques en collaboration avec Dizzee « le dingue » Rascal pour un track qui synthétise et fédère la quasi-totalité de ce que la musique de club a de meilleur à offrir aujourd’hui. Alors que beaucoup de producteurs fondateurs se sont écroulés (Derrick May, Carl Craig), le second couteau Van Helden , à quarante ans, gagne haut la main le statut d’employé du mois, de l’année, de la décennie et la médaille du travail n’est plus très loin. Comme quoi il faut toujours se méfier des Bonkers affichés.
Tori Amos - Professionnnal Widow (Armand's Star Trunk Funkin' Mix) (Atlantic / 1995)