La fin de l’été n’en finit pas de s’étirer au Pays Doré, même si aujourd’hui, l’automne est officiellement annoncé. Entre temps, il a un peu plu et quand je chantais « Petit champignon deviendra grand pourvu qu’un petit peu d’eau lui prête vie » j’avais raison car Mister Climat a exhaussé mon souhait. Hier, juste à titre de repérage, je suis allée faire un tour dans la forêt, et en moins d’une demi-heure et aux alentours de la voiture, c’est à dire sans me fatiguer voici ce que j’ai trouvé (. Pas très sportif tout ça, mais délicieux quand même !
La chasse aux champignons n’occupant qu’une infime partie de mon temps, j’ai emporté quelques livres avec moi et notamment, un des plus cités dans ce qu’il est commun d’appeler la rentrée littéraire : Jan Karski de Yannick Haenel. À mi-chemin entre l’essai et le roman (il est d’ailleurs sélectionnés pour divers prix dans les deux catégories), ce livre est particulièrement bouleversant. En résumé des résumés, Jan Karski, le héros de ce livre, a réellement existé, et eut la mission en tant que résistant polonais d’alerter les Alliés sur ce qui était en train de se produire en Europe, comment les Juifs étaient en train d’être exterminés. On le sait, son témoignage, dans les plus hautes sphères des gouvernements Britanniques et Américains resta lettre morte. Il parle ainsi de sa rencontre avec Roosevelt :
Il y avait beaucoup de gens qui assistaient à la scène, des militaires assis dans les canapés autour d’une table basse ornée d’une soupière blanche…
Au fond, Franklin Delano Roosevelt s’exprimait en bâillant. Je l’entends encore me dire la bouche de travers : « Je comprends. » Ce qu’il réprimait en parlant, ce n’était peut-être pas un bâillement, mais la parole elle-même. Car précisément, il ne voulait pas comprendre. Plus il disait « Je comprends », plus il exprimait la parole inverse.
J’ignorais à l’époque que le meilleur moyen de faire taire quelqu’un consiste à le laisser parler.
J’avais affronté la violence nazie, j’avais subi la violence des Soviétiques, et voici que de manière inattendue, je faisais connaissance avec l’insidieuse violence américaine. Une violence moelleuse, faite de canapés, de soupières de bâillements.
En sortant, ce soir-là de la Maison-Blanche, j’ai pensé qu’à partir de maintenant c’était ce canapé qui allait régner sur ce monde, et qu’à la violence du totalitarisme allait se substituer cette violence-là, une violence diffuse, civilisée, une violence si propre qu’en toutes circonstances le beau nom de démocratie saurait la maquiller.
Ici, on fait du « chiffre » avec les expulsions des sans-papiers, on « nettoie » la Jungle près de Calais… Serait-ce ça la « violence du canapé » ?
On ferme des usines, on met au chômage des milliers de personnes et la bourse se refait une santé… Serait-ce ça la « violence du canapé » ?
On va célébrer la chute du mur de Berlin dans un peu plus d’un mois. Qui osera dire que la brèche qui s’est ouverte n’a servi qu’à laisser la place à la « violence du canapé » si bien décrite dans le livre de Yannick Haenel ? Une violence pour une autre, est-ce ainsi que le monde doit exister ?