Le personnage de cette petite BD a un problème moral:
'Je me sens tout bizarre au sujet de cette expérience scientifique. Les participants pensent qu'ils me donnent des chocs électriques et quand ils se rendent compte qu'il n'y a pas d'électricité et que je suis un acteur ils on l'air si soulagés!'
'Mais sans doute qu'ils se détestent après coup, sachant qu'ils sont le genre de personne qui donnerait des chocs électriques à quelqu'un juste parce qu'un type en blouse blanche leur a dit de le faire.'
'Est-ce éthique de continuer? Avons-nous le droit de faire cela?'
Et une autre voix de rétorquer: 'Continuez l'expérience'.
C'est bien sûr une parodie de la célèbre expérience de Milgram, plus connue parfois à travers le film 'I comme Icare'. Milgram avait recruté des participants en leur faisant croire qu'ils allaient l'assister pour réaliser une expérience sur l'effet des punitions dans l'apprentissage. Ils devaient poser des questions à un faux 'sujet' (en réalité, ce 'sujet' était le véritable complice de Milgram) et, si le 'sujet' donnait une réponse fausse, ils devaient lui administrer un choc électrique. Je vous rassure, c'était truqué, pas d'électricité dans l'appareil, mais un acteur à l'autre bout qui jouait celui qui en reçoit. Et qui répondait souvent faux. A mesure que la réponse n'était pas la bonne, on demandait à 'l'assistant' d'augmenter le voltage jusqu'à un maximum de...450 volts. Ce que l'on testait en réalité était jusqu'où ils obéiraient à un ordre aussi barbare. On ne les menaçait jamais, il n'y avait aucune conséquence pour eux s'ils partaient, mais chaque fois qu'ils disaient vouloir s'arrêter, l'expérimentateur leur disait simplement de continuer.
Les résultats en ont terrassé plus d'un: 65% des sujets sont allés jusqu'au voltage maximum.
Milgram les a ensuite commenté ainsi: 'J'ai réalisé une expérience simple (...) pour tester le degré de douleur qu'un citoyen ordinaire infligerait à une autre personne simplement parce qu'un chercheur lui ordonnait de le faire. L'autorité pure et simple a été opposée aux impératifs moraux les plus forts des sujets de ne pas faire de mal aux autres et, alors que les cris des victimes résonnaient aux oreilles des sujets, l'autorité a gagné dans la majorité des cas."
Comme beaucoup d'enseignants d'éthique, j'utilise cet exemple dans mes cours. Il est très utile pour illustrer un des mécanismes qui peuvent pousser des personnes ordinaires à faire des choses franchement choquantes; après tout même si on ne sait techniquement pas si l'avertissement aide à résister, c'est toujours ça de pris. Il illustre aussi très bien les difficultés éthiques liées à une étude scientifique qui exige que l'on mente aux sujets de recherche. Et comme ce sont des résultats qui dérangent, une remarque revient souvent: 'Bon, c'était au début des années 60, les gens étaient conformistes à cette époque'. Hmmm. Ce serait réconfortant bien sûr. L'ennui, c'est qu'on a répété ça en 2008. Et bien sûr ça marche encore. Dérangeant en effet.
Dérangeant aussi qu'on ait répété l'exercice à la télévision. Malgré le commentaire un brin triomphaliste du réalisateur, pour qui cela montre que 'la télévision a une autorité légitime', c'est tout aussi probable que ce soit la foule du public qui en soit la source. On a entre temps toute une série d'études qui montrent elles aussi notre tendance au conformisme. Ce n'est donc pas surprenant que ça marche.
Par contre, c'est profondément troublant de montrer ces situations à l'écran ... et contrairement à la situation lors de recherches scientifiques, tout ça ne nous apprendra rien qu'on n'ait déjà su: c'est simplement une affaire de concurrence entre les chaînes. C'est même une excellente illustration du phénomène. Il y a sans doute là derrière une figure d'autorité qui a dit à un subordonné 'faites-le' sans entendre son refus. Et le résultat est que l'on va montrer des personnes dans des situations capables de briser leur image d'eux-même, leur réputation, leurs amitiés...Troublant. Évidemment, c'est ce trouble sur lequel on compte pour faire de l'audimat. Mais là est justement le hic: difficile d'imaginer que la plupart des participants ont pu signer après coup un accord de diffusion. Ce voyeurisme moral, sur l'intimité de la conscience des personnes, comment le décrire? Disons cela comme ça: face au choix, lequel d'entre vous ne préférerait pas encore se dénuder, physiquement, devant une caméra?