Magazine Culture
Phénomène d’entre-deux… Période intermédiaire,
un peu floue, entre deux parutions, deux manuscrits, celui remis et celui à
remettre, des livres à lire et qui s’entassent sur le coin du bureau, la table
basse du salon, la table de chevet, tous entamés, aucun terminé, un magazine à
boucler, des rencontres et autres réunions de travail…
Un livre chasse l’autre. J’ai toujours sous-estimé
la phase nécessairement épuisante de décompression consécutive à la sortie d’un
livre en librairie. Les idées affleurent, les mots viennent sous la plume, mais
comme retenus, en suspend, en attente. L’écriture est la culture de la
patience. C’est en cela que le mode de fonctionnement du livre diffère
fondamentalement de celui de l’internet, domaine de l’immédiateté et du
commentaire déposé dans la foulée, à chaud, en temps réel. Entre le moment où
l’on considère un roman achevé, susceptible donc d’être déposé chez un éditeur,
et celui où parviennent les premières réactions, les critiques d’abord, les
lecteurs ensuite, s’écoule un temps d’une lenteur qui paraît infinie. Quelques
mois qui comptent double.
Parce qu’un livre, notamment une fiction, est
une partie de soi-même, une excroissance verbeuse jetée en pâture à des
inconnus plus ou moins exigeants, plus ou moins érudits, plus ou moins enclins
à pénétrer notre univers, un labyrinthe qui s’échafaude page après page et dans
lequel le lecteur reste libre de se perdre ou de visiter chaque recoin.
Si lire n’est pas neutre, écrire l’est encore moins : un roman est une
prise de risque qui met autant en danger celui qui le lit que celui qui l’écrit
: les livres qui nous touchent, qu’on les lise ou qu’on les écrive, nous
renvoient à nous même, rappellent des images parfois oubliées, convoquent des
souvenirs, ouvrent de nouvelles perspectives, mais qui restent étroitement
liées à notre passé, à ce que nous sommes devenus, livre après livre, phrase
après phrase. D’où l’aspect parfois autobiographique de mon approche de la
littérature et des littérateurs. L’écrivain ou le lecteur ne sauraient être
déconnecté de la mémoire : chaque phrase écrite, chaque livre lu, vient ajouter
à l’édifice et donc à la subjectivité, ici revendiquée.