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Le principal ennemi de l’écrivain n’est ni son
éditeur ni la critique littéraire. Le premier prend des risques, normal qu’il
ait des velléités ; la seconde n’en prend aucun, normal qu’elle écrive parfois
n’importe quoi. Le principal ennemi de l’écrivain est le temps ; un combat
perdu d’avance. Adolescent, lorsque je rêvais de faire métier d’écrire, je
m’imaginais le matin à ma table de travail, le midi dans les meilleurs
restaurants invité par des éditeurs rêvant de faire ma connaissance, et
l’après-midi lézardant à la terrasse de quelque café à la mode, lisant mes
contemporains ou relisant mes classiques, parfois même abordé par des créatures
de rêve… Force est de constater que la réalité ne coïncide que très
partiellement avec le fantasme. Certes, je suis tous les matins à ma table de
travail, mais j’avais oublié un certain nombre de détails dans ce tableau
idyllique : le téléphone, les mails, la vie quotidienne, les obligations
familiales, les factures à payer, les réunions qui n’en finissent plus, j’en passe
et des pires encore. Il est des semaines où le temps consacré à lire et à
écrire, l’un n’allant jamais sans l’autre, se réduit comme peau de chagrin.
S’installe un sentiment diffus de frustration et de colère mêlées, une rupture
de rythme susceptible de faire perdre le fil même si le cerveau ressasse et
rabâche les mots, les images, les tournures de phrase comme ultime bouée de
sauvetage.