Et même si j’ai cette tendance naturelle à replacer chaque écrivain dans son environnement politique, social, historique et littéraire, contrairement à d’autres je cloisonne, tant il me paraît douteux et aléatoire d’exclure une œuvre, un texte ou un auteur en fonction du degré d’estime que je pourrais éprouver pour un autre, dans une hiérarchie toute personnelle, qui justifie que chacun puisse exprimer un goût voire même un rejet. Mais pourquoi, dès lors que l’on apprécie l’un, affirmer qu’il est impossible d’apprécier l’autre ? Pourquoi procéder par élimination ou exclusion ? Seul devrait compter le talent. Il faut relire le très passionnant portrait littéraire des années 1950, dressé par Christian Millau, Au galop des Hussard (Fallois, 1999), autour de la figure emblématique du facétieux Nimier, disparu trop vite, trop tôt, trop bêtement, et la façon dont il a remis sur le devant de la scène certains écrivains de l’entre-deux-guerres, embourbés dans quelques ornières idéologiques, ayant été du mauvais côté de la Manche au mauvais moment, soufrant de la désaffection de la critique, le mot est faible, des éditeurs et du public. Au nom de l’injustice littéraire, il n’accepta jamais que pour des raisons politiques le talent puisse être mis au ban de la société. Parce qu’au dessus de tout, il plaçait la Littérature. C’était un autre temps. Depuis, le secteur poursuit son industrialisation à marche forcée et nos édiles sont de plus en plus largués, de moins en moins protecteurs des Arts et des Lettres. Mais le fond reste le même. Lire ou relire également, pour s’en convaincre, François Nourissier, Les Chiens à fouetter dont Le Dilettante publie un savoureux essai, tiré d’un texte paru en 1956 dans la mythique revue littéraire de Jacques Laurent, autre Hussard, La Parisienne. Tout y est, rien n’a changé : même décor, mêmes acteurs, mêmes mœurs.