Bien sur, nous retrouvons là le mélange classique d’allergie et de méfiance lorsqu’il s’agit d’un impôt qu’on risque de payer, et, comble de l’horreur, peut-être plus que son voisin pour telle ou telle raison… Mais on peut se demander s’il n’y a pas au fond des esprits un doute plus rationnel et plus digne d’intéresser l’économiste. Il s’agit de l’interrogation sur l’efficacité du signal prix en matière d’économie d’énergie (et donc de production de CO2)…
A priori cette efficacité est indéniable. Tous les chocs pétroliers antérieurs ont démontré qu’une augmentation forte et rapide des prix induisait des limitations de consommation, des comportements plus économes, des recherches de substitutions, l’intérêt pour les méthodes de rationalisation, d’isolation thermique etc. Il en serait de même pour une taxe CO2 élevée avec « l’avantage » certain de sa permanence et de son alourdissement programmé. Serait ainsi évité l’attentisme bien humain tendant à faire le dos rond jusqu’à la prochaine baisse.
Là où le bat blesse, c’est plutôt dans le fait que l’investissement en économie d’énergie est presque toujours (et toujours si on veut vraiment modifier l’efficacité énergétique globale de notre système) de moyen ou long terme. Ou plus exactement que sa rentabilité financière n’apparaît qu’à moyen long terme et qu’il s’agit le plus souvent d’un investissement capitalistique où on remplace une dépense récurrente par une dépense immédiate importante et une dépense récurrente nettement moindre.
Le « signal prix » donné par la taxe diminue le temps de retour mais pas l’investissement initial or c’est un investissement initial élevé qui est difficile pour les particuliers ou les petites entreprises, et la situation actuelle du crédit n’arrange rien.
Un exemple évident de ce phénomène : le succès immense en France du chauffage électrique, même lorsque le KWH EDF était deux ou trois fois supérieur à celui obtenu dans une chaudière à fuel de bonne qualité ! La raison : quelques milliers d’euros d’économie sur l’investissement de départ entre quelques convecteurs et un circuit de chauffage central. Plus modestement on peut penser aussi à l’arbitrage entre les ampoules basses consommation et traditionnelles.
Il y a donc un risque qu’une action par les prix conduise à des rationnements, des sacrifices individuels et donc une diminution de bien être, sans changement profond de comportement et de consommation.
Prenons l’exemple, un peu démagogique mais très à la mode du paisible-modeste-retraité-en zone-rurale. Pour vivre, il doit journalièrement se rendre à la sous préfecture distante de 30 Km. Trajets quotidiens réduits, disposition de place pour garer son véhicule à l’abri : situation théoriquement idéale pour un véhicule électrique. Pour vivre, il doit également chauffer sa ferme aménagée, moyennement isolée mais disposant d’une grange : configuration idéale pour une chaudière à bois déchiqueté. Va-t-il trouver une offre dans ces domaines ? Va-t-il pouvoir et vouloir investir les soixante ou soixante dix mille euros nécessaire, récupérés sur dix ou quinze ans ? Il risque plutôt de ne rien faire et de vivre moins confortablement.
L’objectif de ces remarques n’est pas de mettre à mal le principe d’une taxation carbone, qui d’ailleurs, outre ses vertus symbolique et écologique, n’est qu’une anticipation de l’évolution des prix des ressources énergétiques rares. Il est plutôt d’inciter économistes et politiques à réfléchir aux mesures d’accompagnement du côté du crédit et de la fiscalité d’une part, de l’offre industrielle d’autre part, pour transformer un signal prix, générateur de repliement en signal prix générateur d’investissement.