Rivalité et concurrence : de l’art au libre-marché

Les couloirs du Louvre sont un lieu étonnant pour réfléchir sur ce qu'est le capitalisme dans l'une de ses acceptions essentielles : une concurrence libre

C'est même outrager un peu que d'oser cela. Pourtant, force est de constater que l'exposition qui s'est ouverte hier, " Titien, Tintoret, Véronèse , rivalités à Venise " pourrait constituer une excellente méditation sur la concurrence et la création de valeur qu'elle est susceptible de faire naître.

La concurrence, " c'est l'état d'un marché caractérisé par la liberté pour chacun de s'y installer, de vendre le produit au prix qu'il veut, de le produire avec les procédés qu'il veut. " L'interdiction d'exercice constitue de ce point de vue le contraire exact de la concurrence, tout comme la censure dans l'art.
Ainsi que l'écrivent les commissaires de l'exposition : " dans [un] contexte d'alliances et de rivalités, les peintres vénitiens ne cesseront d'emprunter l'un à l'autre et de réagir réciproquement à leurs créations, révolutionnant la peinture vénitienne du XVIe siècle ". (page 5 de l'album). Tout rival est un concurrent. Et pourtant cette rivalité aboutira dans le contexte vénitien à une autonomisation de la peinture comme un art majeur. Elle permettra l'émergence de chefs-d'œuvres, de styles nouveaux et d'une nouvelle vision du monde. Il en va de même de la concurrence. De manière anecdotique, on pourra évoquer l'exercice du bras de fer, enseigné dans les écoles de commerce: à force égale, une relation de pure adversité aboutit à un statu quo, sans victoire réciproque, sans création de valeur. Dans une relation prenant en compte les intérêts de son partenaires, on peut imaginer un partage équitable, cinq victoires chacun. La rivalité peut engendrer de l'art, tout comme la concurrence peut produire de la valeur.

La rivalité des peintres est parfois exacerbée, ou bien organisée, finalisée pour le bien commun. Elle prenait alors comme cadre les " concours ", passages obligés, qui avaient lieu " lorsque les " guildes " décidaient d'améliorer le décor de leur demeure, pour faire valoir leur magnificence ". Les artistes devaient respecter un cahier des charges : ex : support, agencement architectural, message symbolique, etc ... Les artistes étaient mis en concurrence et devaient obéir aux prescriptions. Après qu'ils eurent remis leurs " modelli ", les projets étaient observés par une commission, qui proclamait un vainqueur. Des cas d'égalité ont pu se produire : Véronèse et Bassano pour la salle du Grand Conseil du palais des Doges.

La commande publique contemporaine n'est pas si éloignée de ces méthodes anciennes, et s'en inspire même, qu'il s'agisse d'art, de la gestion d'un service public, de marchés publics, etc ... Des règles toujours fixent le cadre, la définition des besoins, les limites réglementaires et budgétaires, les critères de sélection, etc ...

Lorsque son objet est une œuvre, " la commande engage un processus expérimental [...] qui se déroule dans un espace vivant qui ne lui est pas consacré [...] C'est pourquoi le concept artistique doit s'ouvrir à toutes les lectures, pour sa fonction décorative, son contenu sociologique, son aspect ludique, ses qualités plastiques [...] " . Les commanditaires sont également amenés à faire preuve d'audace, à innover, à expérimenter.

La rivalité dans l'art, la concurrence en économie, ont toutes deux pour vocation de faire appréhender l'inconnu au regard humain, de lui faire adopter une nouvelle vision. Elles ne sauraient être leurs propres finalités. Une concurrence dirigée à l'excès par des pouvoirs publics interventionnistes à l'excès affaiblira la veine créatrice des entrepreneurs.

Ce que l'artiste Robert Fillou avait affirmé sur l'art " qui rend la vie plus intéressante que l'art ", nous pourrons l'appliquer au capitalisme et considérer que l'innovation est ce qui rend l'économie plus intéressante que le marché ...

Rédigé par Nicolas Belot le 17 septembre 2009 à 12:42