SALLE 5 - VITRINE 1 : STATUETTE DE PORC - E 27248 - (Deuxième partie)

Publié le 22 septembre 2009 par Rl1948


     Mardi dernier donc, derrière ces fenêtres grillagées du rez-de-chaussée de la Cour Carrée, dans la salle 5 du Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre, nous nous sommes retrouvés, vous et moi, ami lecteur, devant la première vitrine pour plus spécifiquement concentrer notre attention sur la statuette du cochon en bois (E 27248) exposée à l'arrière-plan.

     J'en avais profité pour insister sur le paradoxe qui existe à mes yeux quant à la conception qu'avaient les Egyptiens à propos de cette famille porcine : rejeté dans la mesure où il était voué à Seth, le dieu fratricide, le mâle pouvait dans le même temps être apprécié pour sa viande, son travail aux champs, ainsi que pour les vertus prophylactiques de certaines parties de son corps. 
     Au fait, vous avais-je précisé - oui, j'espère ! -, que Seth, en tant que l'un des dieux de l'ennéade héliopolitaine, était le propre frère d'Osiris ? Que Nehpthys était son épouse, tout comme Isis, sa soeur, celle d'Osiris ? Qu'Isis, précisément, parvint à rendre vie au corps d'Osiris dépecé ? Qu'elle en fut alors enceinte ? Et que donc Horus, leur enfant, contre lequel Seth s'était battu, lui extirpant un oeil, était son propre neveu ? 
     Toutes ces relations familiales, tous ces mythes cosmogoniques paraissent, ainsi rapidement énoncés, quelque peu compliqués. Mais permettez-moi aujourd'hui de n'en point ajouter davantage et d'en réserver l'explication quand nous aborderons la salle 18, consacrée aux dieux, au pied de l'escalier qui un jour nous conduira au premier étage. Et revenons plutôt, non pas à nos moutons, mais à nos cochons ...
     Comme j'avais déjà eu l'occasion de le souligner voici deux semaines, c'est évidemment parmi d'autres espèces animales que, depuis la fin de la préhistoire, à l'époque néolithique plus précisément, que la famille porcine fut domestiquée sur les rives du Nil; et très probablement à partir de l'espèce sanglier sauvage que les spécialistes identifient par les termes latins "sus scrofa ferus".
     Dès cette époque, il semble certain que l'animal fait partie intégrante des repas : ainsi les égyptologues ont-ils mis au jour, sur les sites néolithiques du Fayoum et Mérimdé, pour ne citer que ces deux-là, des ossements de porcs parmi d'autres déchets culinaires, qui tendraient à prouver qu'ils avaient bien été consommés par les autochtones.

     Plus tard, bien plus tard, à la XVIIIème dynastie, de semblables reliefs de repas seront retrouvés  dans le village des artisans de Deir el-Medineh : éléments archéologiques qui corroborent des documents administratifs rédigés sur ostraca mentionnant des livraisons de porcs pour la communauté de ceux qui oeuvraient à l'aménagement et à la décoration des hypogées des souverains à partir de la XVIIIème dynastie.

     Les temples funéraires, les domaines royaux étaient semblablement concernés, qui disposaient de troupeaux de porcs pour la consommation quotidienne des administrateurs et du personnel ouvrier qui y étaient attachés; les mêmes troupeaux, probablement, que l'on voit représentés dans la tombe d'un certain Khéty, à Beni Hassan  (Moyen Empire, XIème dynastie) - c'est, par parenthèses, la première fois que des cochons sont représentés dans une tombe égyptienne -, mais aussi dans les tombes de  Djehoutihotep à el-Bercheh, de Renni à el-Kab, de Inéni et de Nebamon à Thèbes : ainsi connaît-on un texte gravé sur un monument d'Amenhotep, dit Houy, chef des administrateurs des domaines d'Aménophis III faisant état d'un don de 1000 porcs et de 1000 jeunes truies qu'il aurait effectué pour l'entretien du temple funéraire du souverain.

     L'étude des reliefs de repas mis au jour ici ou là offre en outre aux égyptologues la possibilité d'esquisser une carte sociale des différents quartiers d'une ville. En effet, et pour ne prendre que le seul exemple de Memphis, les fouilleurs ont déterminé que dans tel secteur de la ville, ce sont essentiellement des ossements de porcins qui ont été abondamment retrouvés, alors que dans un autre, ce furent plutôt  des restes de bovidés que l'on mit au jour. Et donc sachant que le porc était essentiellement consommé par les plus humbles, et le boeuf, par les plus favorisés, se dessine avec de plus en plus de précision, grâce à cette science en pleine expansion qu'est l'archéozoologie, un plan de localisation des différentes classes sociales en fonction, simplement, des habitudes alimentaires.

     Le porc, donc, comme source de protéines, je viens de l'évoquer, fut aussi un animal prisé pour le travail aux champs : en effet, souvenez-vous, ami lecteur, quand en décembre dernier, nous nous étions arrêtés devant les fragments peints de la chapelle d'Ounsou, dans la salle 4,  derrière nous, j'avais eu déjà l'occasion d'indiquer que l'animal, comme le mouton d'ailleurs, pouvait être requis pour enfoncer les semences dans les sols encore humides après le retrait des eaux du Nil.

     En outre, et ce n'est peut-être pas le moins paradoxal pour une bête tout à la fois honnie et amie, il fut partie prenante, à l'instar de beaucoup d'autres mammifères, pour constituer l'un des ingrédients de la pharmacopée égyptienne antique qui, à nos yeux peut paraître empreinte de sous-entendus magico-religieux mais qui, à ceux des Egyptiens, était destinée à, sinon définitivement guérir les malades, au moins atténuer les maux dont ils souffraient.

     Un certain nombre de papyri, désormais connus sous les appellations Papyrus Ebers, Hearst, Papyrus de Londres, de Berlin ..., ont en fait été retrouvés citant quantité de remèdes, d'onguents, de décoctions ou de pansements dans lesquels entrait l'une quelconque partie du porc.

     Ainsi, sa canine, broyée finement et placée à l'intérieur de quatre gâteaux que l'on mangeait quatre jours consécutivement, était censée éliminer la toux. Le produit obtenu par le mélange d'une dent de porc écrasée avec des excréments de chien et de chat devait, appliqué sur un pansement, détruire des substances rongeant un endroit du corps. Le fiel du cochon, animal voué à ce Seth qui, je l'ai rappelé tout à l'heure, s'était jadis emparé de l'oeil d'Horus, servit à guérir certaines maladies des yeux : une première moitié de ce fiel, mélangée à du miel, était destinée à farder le soir l'oeil du patient, et l'autre moitié, séchée et finement broyée, à être appliquée chaque matin.
     Se servir de l'oeil de porc, animal séthien, pour soigner des infections oculaires pourrait nous paraître quelque peu bizarre. En fait, cela relève de la notion de "réparation", étape essentielle, dans la conception égyptienne du mal, qui est à la base d'une amélioration : il y a récupération du mal dans un but apotropaïque. Ici, l'oeil du porc est utilisé pour "réparer" l'ablation qu'il a subie dans le mythe d'Horus, le Bien, et de Seth, le Mal.  
     

     Mais revenons à nos remèdes : pour tenter de chasser la mort, toujours susceptible de s'emparer d'un malade, il était fréquent d'enduire le corps avec un mélange de graisse de porc et d'urine de jeune fille. De la graisse de truie avec un lézard fendu sur le côté et cuit servait d'onguent favorisant une guérison ou, à tout le moins, empêchant toute récidive possible.

     La cervelle de l'animal, mêlée à des dattes fraîches et de l'eau, tentait de guérir une femme rongée par des abcès à l'utérus :  la substance reposait obligatoirement une nuit, à la rosée, puis était versée dans le vagin de la malade. Quant aux excréments du porc, ils pouvaient, entre autres applications, remédier à l'éjaculation précoce.

     Je pourrais, vous vous en doutez, ami lecteur, poursuivre à l'envi cette énumération si je n'avais décidé de clore cette présentation par un aspect relativement peu connu de l'utilisation de l'animal, ressortissant au domaine cultuel : il s'agit du sacrifice d'un porc mâle et adulte, un verrat en fait, lors de fêtes se déroulant chaque année à la pleine lune du mois de Pachôn (de la mi-juin à la mi-juillet).

     Si l'on trouve encore référence de cette fête sacrificielle gravée sur les murs du temple d'Edfou, à l'époque gréco-romaine  donc, il est évident que l'événement originel remonte à bien des siècles antérieurs. Plutarque, le mentionnant, n'hésite d'ailleurs pas à le mettre en relation avec le mythe d'Osiris découpé par Seth. Une sorte de rituel immuable présidait à ce sacrifice : l'animal était égorgé par un boucher sacrificateur, probablement un prêtre, à l'aide d'un couteau courbe.

     A la différence des textes qui fourmillent de précisions quand il s'agit de relater les sacrifices de bovins, par exemploe, les égyptologues disposent de bien peu d'informations pour ce qui concerne celui des cochons : nous ne savons pas où ils étaient officiellement abattus, ni quel était le processus employé, ni son déroulement. La seule connaissance que nous en ayons  se réfère à ce qui a précédé le geste solennel : l'animal était soumis à une sorte d'examen rituel préalable, de sorte que ceux estimés aptes à être sacrifiés étaient reconnaissables entre tous grâce à la guirlande de fleurs qui ceignait soit leur ventre, soit leur tête.
     (Après notre entretien, vous pourrez, si vous le désirez ami lecteur, monter admirer certaines terres cuites de l'Egypteé ptolémaïque représentant semblables porcs "garnis", conservées ici, au Louvre, au Département des Antiquités grecques, étrusques et romaines, juste au-dessus de nous, dans la même aile Sully, au premier étage donc, immédiatement après la trentième et dernière salle égyptienne.)

     Le cheminement des morceaux depecés lors de ces cérémonies sacrificielles, lors de ces fêtes, populaires ne l'oublions pas, suivait un schéma bien établi duquel la hiérarchie n'était pas absente : après l'offrande de ce qui devait obligatoirement et en premier lieu être dévolu aux temples et au(x) dieu(x) auxquels ils étaient voués, l'Etat pharaonique  permettait la vente d'un certain quota; puis, enfin, ce qui subsistait, tous ces prélèvements effectués, était sur le champ consommé par la population, dans un contexte festif et néanmoins religieux.

     A l'instar de l'hippopotame pour lequel les Egyptiens estimaient le mâle dangereux et la femelle bénéfique, chez les porcins, la truie, pour autant qu'elle fût blanche, était vouée à Isis.


     Parfois, comme avec la petite statuette de faïence siliceuse (E 14357) exposée dans la première vitrine de la salle 18, au pied de l'escalier menant au circuit chronologique du premier étage, la truie, par assimilation, figurait Nout, déesse de la voûte céleste, mère des astres qui, chaque soir, avalait le soleil pour, le matin, s'empresser de l'expulser d'entre ses cuisses. Elle ingurgitait pareillement, le matin cette fois, les étoiles et les remettait au monde à la tombée du jour, les rendant ainsi à nouveau visibles par tous. C'est donc cette particularité de manger sa progéniture qui explique la figurine ci-dessus : une truie allaitant ses porcelets, certes, mais aussi capable, et cela, les Egyptiens l'avaient indéniablement remarqué, de dévorer ses petits.
     Vous aurez évidemment compris, ami lecteur, en prenant note de ce dernier mythe et de la différence sexuelle que les Egyptiens établissaient dans la famille porcine, qu'il était hors de question pour eux, de sacrifier une truie, fût-ce même pour une fête religieuse, dans la mesure où elle était révérée comme symbole de fécondité; et cela, déjà aux temps préhistoriques.
     Je terminerai simplement en ajoutant, sorte de conclusion à mes deux interventions de mardi dernier et d'aujourd'hui, que s'il y eut interdiction de manger du porc, nous devons être conscients que, tout comme d'ailleurs le poisson que j'avais évoqué en juin 2008, elle ne fut pas totale, n'exista pas à toutes les époques ni dans tous les nomes du pays.
     Ce qui accroît d'autant, comme si besoin en était encore, l'ambiguïté qui, aux yeux des Egyptiens, planait sur cet animal ...              



(Bardinet : 1995, passim; Bonneau : 1991, 330-40; Moreno Garcia : 1999, 251-4; Nachtergael : 1995, 207; Sarr : 2008, passim; Yoyotte : 1959, 228)