Les deux sections envoyées à la poursuite d'Illiten reviennent au palais le lendemain matin, avant la relève de la garde : les soldats se jettent sur leurs paillasses, les camions sont mangés par le sel.
Le capitaine obtient du général que les soldats restent couchés pendant le rassemblement :
- J'irai les voir dans leurs chambrées.
- Mon général, ils dormiront.
- C'est dans cette position qu'ils sont les plus charmants.
- Je vous supplie, mon général.
- Couchés sur le côté, le treillis moulant leurs fesses, le ceinturon roulé sur leurs cuisses.
- Mon général.
- Vous vous battez, vous obéissez, je n'ai aucun désir pour vous. La guerre est bientôt achevée, nous sommes vaincus. Vous ne parlez plus à un général, mais à un patron de bordel. Faites venir vos hommes.
- Mais, général, vous avez permis qu'ils se reposent.
- Je veux les voir. Je sais qu'ils ont massacré un enfant cette nuit, je veux les voir.
Le capitaine va chercher ses soldats, il les réveille et les pousse vers le rassemblement. Le général ordonne qu'ils se mettent torse nu. Les soldats se déshabillent :
- Vous resterez ainsi jusqu'à midi.
Les soldats jettent leurs vêtements à terre :
- Décoiffez-vous.
Pierre Guyotat, Tombeau pour cinq cent mille soldats, L'imaginaire, P.279-280.
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Le Tombeau, suite. Un extrait où l'humour est présent, parfois grotesque. Un décalage avec la masse informe de texte qui suit et précède où l'on retrouve malgré tout cet impératif de tout broyer, mixer, institutionnaliser selon une logique de prostitutionnalisation : vous ne parlez plus à un général, mais à un patron de bordel.