Simon Starling a obtenu le Turner Prize il y a quelques avec une installation / performance d’une redoutable simplicité : ayant bâti une bicoque en bois au bord de la Tamise, il la détruit et construit un bateau avec ses éléments, vogue sur le fleuve, s’arrête plus bas, détruit son bateau et reconstruit une cabane identique à la première. Au delà de l’effet de récupération à la Robinson Crusoé, c’est un travail sur l’économie des moyens, la transformation et la transmission d’information d’une forme à une autre. L’exposition actuelle au MAC / VAL (jusqu’au 27 décembre), ThereHereThenThere, décline ces mêmes approches sur différents objets.
Starling s’intéresse à la matière même, aux atomes de matière contenus dans les objets et au détournement de leur utilisation. A partir du platine contenu dans une photographie, il génère de l’électricité qui, en retour, va éclairer une photo de la même série. Prélevant une partie d’une photographie aux sels d’argent représentant une sculpture d’Henry Moore, il en extrait une molécule de bromure d’argent, qu’il agrandit des millions de fois et transforme en sculpture (en haut), étonnamment similaire à une oeuvre de Moore, lui-même adepte des formes naturelles : comme si une parenté, une vérité intrinsèque se dissimulait au niveau atomique tout au fond de l’objet initial (Silver particle / Bronze, after Henry Moore).
Une chaise Eames et un vélo Sausalito ayant des quantités d’aluminium équivalentes, Starling fond le vélo et à partir de l’aluminium obtenu crée une ‘fausse’ chaise Eames; de même, il fond la chaise originale et crée avec son aluminium un ‘faux’ vélo Sausalito. C’est une transmutation laborieuse, où la vérité de l’objet est questionnée, où la mémoire des atomes est détournée (Work, Made-ready).
Avec ThreeWhiteDesks (vu à la Triennale de Londres), Starling joue sur la transmission de l’information et sa déformation, comme dans un jeu de ‘Chinese whispers’: plusieurs ébénistes aux quatre coins du globe réalisent un bureau l’un après l’autre sur la base d’informations parcellaires (photo floue, dessin sommaire) transmises d’un ébéniste à l’autre. Sa pièce la plus forte, et celle qui traduit le mieux les flux d’information et de matière dans le monde contemporain est Flaga : la Fiat 126 a vu sa production transférée de Turin en Pologne, délocalisation oblige. Starling achète une Fiat 126 turinoise et la conduit jusqu’en Pologne; là-bas, il change plusieurs des éléments d’origine avec des pièces made in Poland, puis il ramène la voiture à Turin. Elle est accrochée au mur, comme un drapeau du nouveau monde économique, comme un témoignage des transformations forcées que l’artiste révèle.
Il faut aussi aller voir, à la Fondation Kadist qui expose quelques pièces de sa collection jusqu’au 8 novembre, des diapositives de Autoxylopyrocycloboros : Starling, ayant récupéré une épave de canot, y installe une chaudière à vapeur fonctionnant au bois. Pour avancer, il faut brûler petit à petit le bateau, jusqu’à ce que, démembré, il coule. C’est une pièce sur le phénix, sur l’autodestruction indispensable au progrès; elle avait été précédemment montrée au MAC / VAL où l’évoque un travail actuellement exposé, basé sur la même absurdité écologique, Transestérification, de Michel de Broin : une voiture se nourrissant de la graisse liposucée à son conducteur.
Sinon, au MAC / VAL, jetez un oeil aux dessins de Bernard Moninot, dessins qu’une brindille agitée par le vent a inscrit sur une plaque au noir de fumée : c’est charmant, écologique, mais terriblement répétitif. Pour avancer l’idée de la nature comme dessinateur, le concept suffisait, me semble-t-il, et point n’était besoin de cette pesante démonstration (La mémoire du vent 2003. Installation dessin de lumière. Jardin botanique de Genève. Photo André Morin).
Photos 1 et 2 de l’auteur; photos 4 et 6 courtoisie du MAC/VAL. Moninot étant représenté par l’ADAGP, la photo de son oeuvre sera retirée du blog à la fin de l’exposition.