Notre mère la guerre de Kris et Maël

Par Manuel Picaud

Plaidoyer contre la guerre.

On croyait avoir tout lu et tout dit sur 14-18. Et pourtant, Jacques Tadi avec Putain de Guerre ! chez Casterman ou Kris et Maël avec Notre Mère la Guerre chez Futuropolis nous prouvent le contraire. En vérité, la Première Guerre mondiale continue de fasciner et d’inspirer les auteurs de BD, sans doute car elle traduit toute l’horreur dont peut être capable l’homme. Elle devait être la der des ders. Elle introduit en fait des conflits qui n’ont depuis cessé dans une violence toujours plus grande. Et peut-être comme le suggère le scénariste Kris, « la guerre […] définit l’homme aussi bien que l’amour ou le rire. Ou l’utopie et la révolte. »

Le récit est raconté à un prêtre par Roland Vialatte, un vieil homme affaibli et alité à Soulac dans le Tarn-et-Garonne. Retour en arrière : vingt ans auparavant, en janvier 1915, autour de Méricourt, en Champagne pouilleuse. Alors que la guerre meurtrière des hommes s’installe dans les tranchées et l’artillerie rugissante crache inlassablement ses obus, trois femmes, une serveuse de bar, une infirmière de la Croix Rouge et une journaliste canadienne sont retrouvées assassinées sur le front, avec une lettre d’adieu signée par leur assassin. Pressé par un état-major soucieux de ne pas déconcentrer ses soldats de leur bourbier, le lieutenant de gendarmerie Roland Vialatte est chargé de cette enquête délicate en première ligne des combats.
Alors que cette guerre tue des milliers de soldats chaque jour, ces assassinats de femmes résonnent comme une provocation. Ils soulignent l’aberration du conflit. Tout l’art de Kris est de plonger progressivement le lecteur dans cet enfer, au travers des méandres d’une enquête difficile menée par un chrétien humaniste et idéaliste confronté à un monde extrême. C’est tout simplement passionnant et puissant de bout en bout. Les textes précis et parfois poétiques sont particulièrement bien écrits. Le style du langage des différentes populations en présence se reflète parfaitement dans des dialogues colorés. Ces éléments de l’ambiance sont soulignés par un remarquable dessin à l’aquarelle souligné par un encrage de premier plan. Maël qui s’est illustré avec un très bel album sur le Japon de l’époque d’Edo, l’Encre du Passé, prouve une nouvelle fois sa grande capacité d’adaptation et donne force et vie à ce récit par son dessin.
Un vrai bijou - en trois parties.

__________________
Notre mère la guerre
T.1 : première complainte - de Kris (scénario) et de Maël (dessins et couleurs) – Futuropolis – 17 septembre 2009 - 16,00 € - Illustration : planche 25 © Kris - Maël / Futuropolis