Avec Carrefour, je positive, disait le slogan.
Un peu daté, le slogan, sans doute.
Je te l’accorde.
Surtout en ces temps de Crise ©, quand le ticket de caisse de la ménagère de moins de cinquante ans affiche un total quasiment pornographique pour un caddie à peine rempli au tiers et comprenant essentiellement des paquets de pâtes d’une obscure sous-marque moldave.
C’est sans doute pour cette (noble) raison que le groupe Carrefour a décidé de donner un coup de jeune à sa communication, en mettant en scène une tête de con un ersatz de Jake Gyllenhaal (le beau brun qui craque pour Heath Ledger dans Le secret de Brokeback Mountain, un film très beau et très tendance dont l’engagement contre l’homophobie et pour la reconnaissance des moutons du Canada en tant qu’acteurs à part entière fit en son temps grand bruit) sur un fond musical de Gustavo Santaolalla.
Et tiens, justement, ce bon vieux Gustavo n’est autre que le compositeur de la musique originale du Secret de Brokeback Mountain.
D’ailleurs, la jolie musique que tu entends dans le clip de Carrefour, en arrière-fond des promesses de la voix off (promesses dignes de celles d’un Nicolas Sarkozy, tu en conviendras, car "on va vous refiler des produits aussi bons pour vous que pour la planète" ou "on va vous aider à vivre un peu mieux chaque jour", c’est presque l’équivalent du "je serai le président de tous les Français" et du "je sauverai les usines quoi qu’il m’en coûte"), la jolie petite musique, disais-je, s’intitule The wings et fait partie de la célèbre bande originale du film.
Alors, me diras-tu, ami lecteur, quelque part, on s’en tamponne un peu le coquillard sur l’air du Yankee Doodle (célèbre ritournelle américaine reprise dans tous les films dits "patriotiques" dans lesquels un citoyen Blanc, chrétien et hétérosexuel prend les armes pour défendre Washington et New-York contre, au choix, des individus aux yeux salement bridés, des individus hurlant abominablement "Броненосец Потёмкин" en égorgeant de paisibles vieilles femmes, ou plus récemment des individus méchamment enturbannés demandant, la bave aux lèvres et le couteau à la main, où se trouve le bar tandis que des buildings s’écroulent sur les passants).
Certes.
Mais tu connais ma curiosité irrépressible, lecteur.
Je voudrais tout de même bien savoir.
Pourquoi un sosie trisomique de Jake Gyllenhaal?
Pourquoi la musique de Brokeback Mountain?
Quel message Carrefour, spécialiste des marges arrières et de l’arnaque consumériste planétaire, groupe tentaculaire dirigé par une belle brochette de salopards aussi cyniques que des curés pédophiles à une conférence de l’UNICEF , quel message Carrefour veut-il donc nous faire passer, à toi, à moi, à nous, petits consommateurs lobotomisés?
Que les magasins Carrefour sont des havres de tolérance et de progrès social, au sein desquels l’amour sous toutes ses formes sera toujours libre de s’exprimer? (il faudra que j’essaye de rouler un patin monumental à ma femme au rayon biscuits secs, pour voir)
Que le groupe Carrefour s’engage solennellement à promouvoir les mariages mixtes, l’antiracisme et la fraternité?
Que les crèmes dessert de marque Carrefour contiennent un puissant aphrodisiaque capable de transformer un benêt au regard bovin en acteur américain sexy en diable?
Ou bien cela aurait-il davantage à voir avec la façon dont, chaque samedi après-midi, le Français moyen (ou la ménagère de moins de cinquante ans, son alter ego féminin) se fait consciencieusement mettre arnaquer par les requins de la Grande Distribution?
Qu’en penses-tu, lecteur?