Je me suis demandé : "mais si je mets bout à bout tous mes postes de
dépenses, ou toutes les activités dans lequel moi ou mes proches sont
engagés, quelle part de mon budget va à des secteurs vraiment libres ?
Où l'état n'est pas directement acteur ? Ou bien où il n'a pas octroyé
par la législation ou les subventions à des entreprises privées de
confortables rentes de situation ?"
Passons donc en revue les différentes dépenses de mon ménage, qui ne
doit guère différer de 75% de mes compatriotes, et analysons si nous
avons à faire à des marchés à concurrence libre ou contrariés.
(nb. Je ne me préoccupe
pas ici du niveau général délirant des réglementations qui gênent de façon égale tout le monde, mais uniquement
des interventions qui empêchent une vraie concurrence de s'exercer sur
le marché)
Logement :
Aucun cartel dans l'offre de logement ne permet d'entente sur les prix.
Certes, environ 17% du parc de logement, le
parc HLM, est détenu par des logeurs soit publics,
soit "pseudo-privés", et une part non négligeable du parc privé a été
subventionné à un moment ou à un autre, (Robien,
etc...) avec pour corollaire des distorsions entre offre et demande
tout à fait préjudiciables au bon fonctionnement du marché.
En outre, en France, le droit foncier rend difficile l'adaptation de
l'offre à la demande lorsque celle ci est fortement soutenue par un
crédit bon marché, quelles que soient les causes de prix de l'argent
bas. Au sommet de la bulle, le prix des logements était en moyenne
surévalué de 30% à cause de l'insuffisance d'offre aux endroits où la
demande était en plus forte croissance.
Enfin, ceux qui sont locataires en zone très demandée savent combien il
est difficile de trouver un logement de bon rapport qualité prix, car
les lois encadrant le contrat de location (contrôle des loyers,
fiscalité, protection des mauvais payeurs) découragent un certain
nombre d'offreurs potentiels de placer leur épargne dans le logement.
Verdict : marché
totalement faussé par l'intervention de l'état. (Nb. Mon
livre y est consacré)
Alimentation :
La encore, pas de monopole public ou de cartel privé à la production.
Même un producteur important comme les groupes Danone ou Nestlé font
face à une concurrence de niveau élevé. Pourtant, là encore,
l'intervention de l'état est loin d'être neutre sur les prix auxquels
je puis espérer me nourrir.
La production des matières premières alimentaires, en France et dans
l'Union Européenne, est
non seulement fortement subventionnée, ce qui pousse les prix
alimentaires à la hausse d'une part, et nous fait payer deux fois par
le biais des impôts qui alimentent les subventions. Les tarifs
douaniers sur les importations hors union ajoutent une couche de
distorsion concurrentielle importante.
En outre, l'agriculture, en France, est fortement encadrée: ne devient
pas exploitant qui veut, des
puissantes bureaucraties para-agricoles, sur lesquelles
pèsent régulièrement de graves soupçons de corruption, veillent sur les
nouveaux entrants, et vous ne pouvez pas facilement décider de vous
lancer dans un des multiples secteurs ou des quotas sont à l'oeuvre.
Verdict : marché très
fortement distordu par l'intervention de l'état
Distribution :
D'autre part, si la concurrence entre offreurs agro-alimentaires est plutôt libre, il n'en
va pas de même dans la distribution. Les lois Royer de 1973, puis
Raffarin et Galland des années 90, ont pratiquement assuré à 6 groupes
(Carrefour, Auchan, Casino, Leclerc, U, Intermarché) un oligopole de
fait sur le marché Français, que la loi LME, censée libérer
le marché, chatouillera à peine (cf. La
remarquable critique de Pierre Cahuc et André Zylberberg). Ce
n'est pas demain que Wal Mart ou Tesco pourront efficacement venir
régénérer le secteur dans notre hexagone.
Des études ont montré que depuis les grands mouvements de concentration
qui ont eu lieu dans le secteur suite au vote de la loi Raffarin
(Rachat de Docks de France - Mammouth par Auchan, de Promodès -
Continent par Carrefour, etc...), dans les agglomérations où seulement
une ou deux enseignes était représentées, les prix ont été de 10 à 15%
plus élevés que dans celles où le hasard a permis que la plupart des
enseignes restent présentes (de ce point de vue, le nantais que je suis
a de la chance).
Enfin, malgré les chausses trappes réglementaires qui leurs sont
opposées, les Hard Discounters ont réussi à secouer le cocotier des
mauvaises habitudes de la distribution, entraînant un élargissement du
spectre de prix de l'offre des hypers vers le bas, avec l'apparition de
marques premier prix clairement identifiables, ce qui a réduit, sans
les supprimer, les effets pervers de la loi Galland, celle
qui permet aux fournisseurs de grandes marques d'imposer des prix
plancher à la grande distribution.
Verdict : Marché assez
concurrentiel, plus ou moins fortement distordu par l'état selon
l'histoire commerciale de la ville ou vous vous trouvez.
Electricité :
Depuis quelques années, les progrès technologiques permettent à des
offreurs d'électricité différents de partager le même réseau de
distribution. Il n'y a donc plus de "monopole naturel" sur
l'électricité. Mais pour autant, la libéralisation du marché de
l'électricité reste embryonnaire.
Le monopole public vient à peine de sauter, les concurrents d'EDF n'ont
pas encore vraiment eu le temps de changer la donne sur ce marché, ces
concurrents n'ont pas accès au nucléaire, et certains producteurs
d'énergies dites "renouvelables" bénéficient de prix subventionnés par
une taxe additionnelle dite "de service public" sur toutes nos
factures.
Verdict: Marché très
contrarié, entamant une libéralisation timide, mais où de nombreuses
contraintes étatiques fausseront longtemps la concurrence.
Le gaz et l'eau présentent des caractéristiques de "monopole naturel"
qui rendent plus délicate l'existence d'une vraie compétition au niveau
du consommateur final. L'organisation de la compétition pour l'accès au
réseau en amont du consommateur par les pouvoirs publics, est, disons,
perfectible...
Transports :
La production automobile est concurrentielle en Europe, mais on n'en
dira pas autant de sa distribution, fortement réglementée, avec un
quasi monopole de réseaux de distributions concessionnaires
mono-marques, ou du moins mono-groupes, rendant difficile
l'implantation de nouveaux entrants. A quand une Fisker ou une Tesla en
vente chez Auchan, ou chez des gros vendeurs multimarques tels qu'ils
existent outre Atlantique, où des modèles identiques à ceux accessibles
sur nos marchés sont souvent vendus 15 à 20% moins chers... Hors taxes.
Les transports en commun urbains sont presque toujours le fait de
monopoles publics, avec interdiction de concurrence privée directe.
Résultat, aujourd'hui, le prix du billet ne représente en moyenne que
20 à 25% du coût du trajet. Le reste est payé soit par les entreprises
("versement transport", carte orange et équivalents), soit par
subvention de la collectivité.
Les taxis bénéficient d'un rationnement du nombre de licences par
l''état, limitant la concurrence et faisant augmenter les prix.
Les
transports interurbains par Bus ne peuvent se développer que
"si ça ne gêne pas la SNCF".
Inutile de revenir sur le monopole public du transport de passagers, et
sur la distorsion de concurrence scandaleuse opérée par l'état en
faveur de la SNCF, via
diverses subventions, notamment vis à vis des concurrents
privés autorisés depuis peu à faire du fret. (voir aussi l'IFRAP
sur ce sujet)
Verdict: compte tenu de
la part de marché prépondérante de l'automobile dans les déplacements,
nous pouvons considérer que le marché est fortement distordu par
l'état, mais qu'il subsiste encore un niveau de concurrence non
négligeable. Par contre, pour les usagers exclusifs de transports non
individuels, la liberté de l'offre est un doux rêve.
Télécoms :
Le marché de la téléphonie fixe et mobile est fortement encadré par
l'état qui décide qui peut ou pas entrer sur le marché, comme en
témoigne encore l'imbroglio autour de la quatrième licence mobile.
Cette situation permet aux 3 principaux offreurs privés de bien
s'entendre, ce qui a fait l'objet de condamnations au niveau européen.
En revanche, sur Internet, des trublions (Free hier, Darty
aujourd'hui), ont permis de secouer le marché.
Verdict: marché
cartellisé avec la bénédiction de l'état.
Santé :
Un quasi non marché, où l'état réglemente les prix des médications et
des actes médicaux, permet aux hopitaux publics de facturer à
l'assurance leurs actes jusu'à trois fois plus cher que les cliniques
privées, détient le monopole de l'assurance maladie "de premier
niveau", réglemente le nombre de médecins et de pharmaciens, et ou peut
être bientôt il forcera les médecins et infirmiers "libéraux" (il faut le dire très vite)
à s'installer là où il l'aura décidé, tout en leur interdisant de se
constituer en sociétés de services médicaux et de faire de la
publicité. L'instauration du "médecin référent" a encore réduit le
niveau de concurrence entre médecins d'un même quartier.
La concurrence ne joue qu'à la marge de façon limitée entre mutuelles,
perturbée par la pratique répandue de la "mutuelle obligatoire" dans
nombre d'entreprises.
Verdict: absence quasi
totale de totale de marché, pour un secteur représentant quasiment 11%
de notre PIB.
Education :
Secteur privé embryonnaire et sous perfusion d'argent public, sauf
quelques rares établissements privés non conventionnés avec l'éducation
nationale réservés de facto aux plus aisés qui peuvent payer
deux fois l'école, via leurs impôts et directement. Faillite du quasi monopole public de plus en plus difficile à dissimuler.
Les seules traces de liberté subsistent au niveau... Des fournitures
scolaires.
Verdict: identique à
celui de la santé. Environ 7% de notre PIB.
Restauration :
Aucune restriction à l'entrée, pas de contrôle des prix, TVA enfin
égale entre le Fast Food et la restauration à table... Enfin un marché
concurrentiel !
Verdict: marché libre.
Pour mémoire, relire "si
la restauration était gérée comme la santé..."
Habillement :
Même liberté que dans la restauration
Cinema et autres produits
culturels
Le cinéma Français bénéficie d'aides importantes, souvent déguisées,
(déductions SOFICA, système d'avances sur recettes publiques,
incroyable gabégie de l'assurance chômage des intermittents du
spectacle...), mais la concurrence des films peu ou pas aidés, et des
productions étrangères, reste forte.
Le prix des livres est sévèrement encadré par la loi, ce qui rend notre
marché du livre peu compétitif par rapport à d'autres. Mais les
offreurs sont nombreux et l'accès au marché libre.
Les grands musées publics drainent des subventions colossales qui
limitent la part des musées privés à pas grand chose.
Seul le marché de la musique fonctionne comme un marché, avec une
pression à la baisse des prix terrible du fait du piratage.
Verdict: marché de la
culture assez libre d'accès mais concurrence faussée par l'état
Presse :
Le monopole des NMPP (un bastion syndical de la CGT) sur la diffusion
de la presse quotidienne empêche
des éditeurs indépendants florissants à l'étranger, tels que
le groupe Axel Springer, de venir contester la suprématie des deux
groupes de presse nationaux qui trustent plus de 80% du marché. Le
résultat est que notre presse quotidienne est la plus minable d'Europe
en termes de tirage par habitant, sans qu'elle se distingue par sa
qualité non plus, tant elle cultive le conformisme et la révérence au
politiquement correct ambiant.
La situation est moins mauvaise du côté de la presse magazine, même si
les surcoûts liés au passage difficilement contournable de la
distribution par les NMPP restent bien présents.
Verdict: marché
cartellisé avec la bénédiction de l'état et de la CGT.
Banque :
Secteur à la fois très subventionné
par la fiscalité favorisant l'usage du crédit au détriment de
la formation de capital par les entreprises, par les politiques
généralement accommodantes des banques centrales à leur égard, et où la
réglementation est tellement envahissante et pointilleuse que
toutes les banques sont peu ou prou contraintes de se développer
suivant des modèles proches, les possibilités de se distinguer entre
banques concurrentes ne se situant qu'à la marge. Ceci dit, surtout
depuis l'ouverture européenne, le nombre d'offreurs est élevé. Mais
cette relative uniformisation par la norme limite de facto la
possibilité de concurrence entre établissements.
Tout ceci fait que le secteur bancaire, en France, semble globalement
très conservateur et peu ouvert aux innovations vis à vis de leur
clientèle particulière. Ceci dit, l'avènement de l'internet a quelque
peu bousculé certaines routines, et les nouveautés que prépareraient
des groupes tels que Paypal ou Google risquent dans quelques années de
dynamiter complètement le secteur en contournant les réglementations
nationales. Ouf !
Enfin, le statut "particulier" des banques auprès de nos décideurs, qui
ont une peur bleue du "risque systémique" posé par une faillite
bancaire, pousse l'état à accorder des garanties aux grandes banques
hors du droit commun de la faillite, garanties inaccessibles aux plus
petites. Il y a donc là encore distorsion de concurrence au profit des
grands groupes.
Des banques sérieuses gérées selon des modèles hors des standards
gérées par Leclerc, Microsoft ou Google, ça déménagerait, non ?
Ajoutons que de très nombreux produits d'épargne sont soit hyper
réglementés, soit défiscalisés, ce qui là encore crée des différences
de traitement entre établissements.
Verdict: système plutôt
cartellisé par l'état, malgré une salutaire poussée de concurrence
permise par l'ouverture européenne et l'irruption d'internet,
distorsion importante des prix par subventions déguisées et
privilèges spécifiques.
Un diagnostic proche peut être fait pour l'assurance, hors maladie et
vieillesse.
Assurance vieillesse :
Le marché ne concerne qu'une part très marginale des retraites
complémentaires. La quasi-totalité de l'assurance vieillesse est un
schéma de ponzi (cad une arnaque à la Madoff) public,
représentant tout de même 12% de notre PIB.
Verdict : absence quasi
totale de marché, monopole d'état sur la retraite de base et sur un
certain nombre de complémentaires sectorielles.
Conclusion
Si la dépense publique ne représente officiellement que 54% du PIB, la
part des dépenses directes et indirectes (vai l'impôt) des ménages
allant vers des secteurs où la concurrence est soit annulée,
soit fortement contrariée par l'état, est sans doute de
l'ordre de 75-80%. A ce compte, prétendre que nous vivons dans une
économie libérale, ou "ultralibérale", relève du déni pathologique ou de la dissonance cognitive
grave.
Le libéralisme n'existe en France que par intermittence, corseté dans une
gangue étatiste tantôt relâchée, tantôt resserrée, au gré du combat que
se livrent en haut lieux les quelques défenseurs de la liberté
économique que nous avons encore, et les interventionnistes
conservateurs socialisants de gauche comme de
droite.
Imaginons que toutes les sources de limitation de la concurrence citées
ci dessus sautent du jour au lendemain. A enveloppe de consommation
égale, le coût supporté par les consommateurs serait moins élevé d'un
important pourcentage, qu'un calcul de coin de table me fait
estimer de façon conservatrice à 10-15% du salaire complet (charges incluses) des ménages, soit de
20 à 30% de leur salaire net disponible avant impôts directs !
Imaginez le bol d'air que cela pourrait représenter pour les ménages
les plus modestes, qui verraient les situations de grande pauvreté se
raréfier. Imaginez l'effet sur les ménages aisés, dont les plus
dynamiques pourraient ainsi dégager des revenus marginaux plus
importants et ainsi lancer des projets nouveaux qui trouveraient plus
facilement une place dans le budget des ménages, relançant ainsi la
"wealth machine" essoufflée de notre pays qui n'arrive plus,
aujourd'hui, à créer suffisamment d'emplois nouveaux pour compenser
l'inévitable perte d'emplois devenus non rentables ?
Les problèmes de nos sociétés ne sont pas ceux du libéralisme, mais
ceux de la cogestion
du capitalisme et de la finance par l'état et des groupes de
pression intéressés par l'octroi de rentes de situation. Notre avenir
sombrera dans la médiocrité si nous ne parvenons pas à nous délier de
ces chaînes étatiques anti-concurrentielles.
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La photo illustrant le texte a été piquée sans vergogne à l'excellent Daniel Tourre, dont je vous recommande chaudement le chapitre du "libéralisme pour les débutants" consacré à la concurrence.
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