C’est ce que vous et moi, quel que soit le nombre de tableaux que nous regardons, ne voyons jamais, c’est l’envers du tableau, comme une autre histoire de la peinture. On y lit les traces de la vie du tableau, son titre, parfois de la main de l’artiste, parfois la signature de celui-ci, mais parfois aucun signe évident ne nous dit de qui ou de quoi il s’agit, il faut alors déchiffrer les bordereaux, décrypter les mentions d’inventaire pour identifier le peintre et son oeuvre. On voit surtout les traces des itinérances du tableau, des collections auxquelles il a appartenu, des expositions auxquelles il a pris part, des transporteurs qui l’ont pris en charge. On voit la matière, bien sûr, toile, carton, bois ou métal, on voit le cadre, mais surtout on voit la vie secrète du tableau. On interroge les détails les plus ténus et en même temps on questionne vainement l’objet dans son ensemble, au delà de la fausse façade qu’il nous présente, pour tenter de visualiser l’autre, la vraie, le recto.
Il est pertinent que le photographe qui nous présente ces Versos, tous pris à la chambre à l’échelle 1, soit un adepte austère des formes frontales, brutes et hors contexte. Philippe Gronon est connu pour ses séries de tableaux noirs, de catalogues, de châssis photographiques et de pierres lithographiques, tous objets qui tournent autour de la représentation sans jamais l’affronter directement, médiums d’enregistrement, d’archivage, de collationnement ou de communication, vecteurs plutôt que signes.
Trois images pour illustrer cette série, à la Galerie Verney-Carron à Lyon (jusqu’au 14 novembre) à 100 mètres de la Biennale (Sucrière) : d’abord une simple signature lumineuse et rien d’autre, celle d’On Kawara (Verso n°24, “Today- série n°7, On Kawara, 2008, Collection Mamac, Nice” Dim. 43 x 53 cm Technique: épreuve pigmentaire). Ensuite Victor Brauner qui dessine au revers, offrant un maigre poisson à notre frustration visuelle (Verso n°37, “Amour propulsateur, Victor Brauner, 2009, Collection du musée d’art moderne de Saint-Etienne” Dim 61,5 par 67,5 cm Technique : épreuve pigmentaire) (page 15). Enfin, un verso didactique en l’honneur de Michel-Ange, portraituré au recto (Verso n° 32, “Portrait de Michel Ange, Bugiardini Giuliano, 2009, Collection du musée du Louvre” Dim 85 x 74 cm Technique : épreuve pigmentaire). Et, ce que Gronon ne fait jamais, les rectos sont au bout des liens pour deux des tableaux (à vous d’imaginer le Kawara).Photos courtoisie Galerie Verney-Carron. Philippe Gronon étant représenté par l’ADAGP, les photos seront retirées à la fin de l’exposition, mais des pièces similaires restent visibles sur le site de l’artiste. La série entière sera montrée au Musée de Nantes dans un an.