Fabrice Lardreau : "Nord absolu"

Par Schlabaya
Quatrième de couverture : " Un pays du nord de l’Europe, quelque part au-delà du cercle polaire. Deux hommes arpentent la capitale, Medisën, ville entourée d’eau. Paul Janüs, journaliste, suit le second tour de la campagne présidentielle. Fasciné par Stalitlën, le candidat populiste qui pourrait être largement élu, il cède peu à peu à ses peurs et dévoile sa part d’ombre. Philip Niels, héros de la nation, part à la recherche de son voisin mystérieusement disparu. Des banlieues pauvres aux grandes étendues nordiques, des camps de rétention aux zones ultrasécurisées, il explore un pays asservi par une dictature. Sous le regard bienveillant des citoyens, l’État promeut écologie radicale et politique ethnique. Qu’un attentat éclate, le coupable est tout désigné : la minorité norda, issue d’une ancienne colonie, la République du Nord. Roman sur le postcolonialisme, l’hyperterrorisme, la montée de la xénophobie dans les pays occidentaux, Nord absolu est aussi le portrait d’êtres fuyants en quête d’identité et d’une impossible rédemption. " Ce roman s'articule autour de deux récits distincts, émanant de deux hommes qui semblent n'avoir rien en commun. Le premier, Philip Niels, qui s'adresse directement au lecteur, est un paraplégique considéré comme un héros de la Nation, mais dont le mal-être et le cynisme laissent pressentir qu'il n'est pas si fréquentable que cela; son patronyme, "Niels", évoque d'ailleurs le nihilisme. Le second, Paul Janüs, dont le récit nous est fait à la troisième personne, est un être ambivalent, à l'image de la divinité dont il porte le nom. Le dieu romain Janus a, en effet, la particularité de posséder deux visages : l'un tourné vers le passé, l'autre vers l'avenir. Philip Niels mène une vie ennuyeuse et vit tourné vers le passé. Les célébrations dont il fait l'objet l'accablent. Lorsque Charles Ringsen, un homme discret et renfermé appartenant à la minorité norda, disparaît, il se laisse convaincre par sa concierge de mener l'enquête. Il découvre alors que son voisin était un activiste qui en savait long sur des sujets que le gouvernement a tout intérêt à cacher...
En alternance avec les investigations de Philip Niels, nous suivons l'errance de Paul Janüs. Critique musical, Paul Janüs est marié à une journaliste militante et fréquente un milieu contestataire dont il ne parvient pas à se distancier, alors qu'il lui correspond finalement assez peu. Il affiche des idéaux nobles, mais est secrètement rongé par la peur de l'autre et la haine de la différence. Si Stälitlen, candidat à la présidence, le fascine, c'est qu'il est un démagogue haineux qui reprend à son compte les hantises et les rancoeurs de la population, en proposant des solutions faciles et faussement rassurantes. Janüs n'ose affronter ses propres démons, c'est pourquoi il préfère les projeter sur autrui en désignant un bouc émissaire : le peuple norda, dont il ignore à peu près tout de la culture, de l'histoire ou des valeurs, et qu'il stigmatise, faute de le comprendre. L'histoire, faussement linéaire, est construite dans un parallélisme en trompe-l'oeil, où les deux récits disjoints finissent par se rejoindre en un point de fuite inattendu.
À travers ce roman sombre, et pourtant tout en nuances, Fabrice Lardreau nous invite à réfléchir sur l'origine du racisme et de la peur de l'autre en général, et sur ses conséquences à l'échelle d'une nation. Le monde qu'il nous décrit ressemble au nôtre dont il grossit certains traits. Le pays dont il est question n'est pas parvenu à faire la paix avec son ancienne colonie, la République du Nord, et entretient avec elle des relations ambivalentes. L'écologie devient hygiénisme, fantasme de pureté tout comme la xénophobie très prégnante et la lutte obsessionnelle contre le terrorisme... Terrorisme dont on peut se demander de qui il émane vraiment, dans une démocrature où l'histoire du pays, réécrite par le pouvoir en place, n'est plus que la version officielle des événements... Autres avis : Daniel Fattore, Pierre Maury