L’Express revient cette semaine sur les mises en scène sarkozyenne. Il y a d’abord la forme, comme son intervention à Versailles devant le Parlement réuni en Congrès, trois semaines après les élections européennes, ou ses visites de « terrain » où l’on découvre des figurants castés pour leur petite taille. Quand il se rend à Bordeaux pour déjeuner ensuite avec Alain Juppé dans un restaurant de la ville, on apprend qu’il a fait apporter son percolateur de café personnel. Dans chaque usine, école ou établissement visité, la mise en scène se répète : il est tantôt assis au milieu d’une assistance placide. Quand il veut faire « proche du peuple », il préfère la station debout, sur une estrade montée à cet effet.
Il y a aussi le fond, comme sa recherche permanente du « meilleur bouc-émissaire » : le délinquant récidiviste et/ou jeune à l’été 2007, les sans-papiers à l’automne, les cheminots lors de la réforme des régimes spéciaux, les enseignants lors de la mise en place du service minimum en milieu scolaire, les fraudeurs à l’assurance chômage ou maladie au printemps 2008, les traders quand la crise boursière éclate en septembre, les banquiers, cet été, quand la BNP annonce son milliards d’euros de bonus. A chaque instant, Sarkozy cherche l’ennemi de l’intérieur le plus adéquat, celui qui catalysera le mieux le ressentiment populaire.
Deuxième axe, la maîtrise de l’agenda. Sa politique économique est objectivement antisociale, même si la crise en a atténué les effets. Mais Sarkozy occupe le terrain pour divers vacarmes : les statistiques du bonheur, le Grenelle de la Mer, de la Pêche ou de la presse. Les médias se tournent vers ces distractions comme des moucherons vers la lumière.
Tactiquement, Sarkozy ne cherche pas le débat mais la déstabilisation permanente de l’opposition. Et il y parvient plutôt bien. « Je ne joue pas la division de l'adversaire, je joue la démobilisation » aurait-il confié à des responsables de l’UMP au lendemain des élections européennes. L’objectif est connu, et rabâché : obtenir le plus gros score au premier tour de l’élection présidentielle.
Quelle réponse de l’opposition ?
Face à ce démiurge, l’opposition s’adapte mal : elle se déchire, comme ces débats sans fin sur l’alliance à gauche ou avec le Modem ; certains de ses leaders, souvent vieillissants, toujours marginaux, acceptent des strapontins dans divers secrétariats d’Etat, commissions d’études ou tables rondes. Ses participants n’y voient que du feu, incapable de distinguer l’essentiel – la politique générale qui est menée – de l’accessoire. Quelques axes de riposte sont pourtant à portée de main. Primo, dénoncer le ridicule de l’attitude présidentielle. Deuxio, souligner son incompétence. Sarkozy n’applique pas son programme, ses promesses ne sont pas tenues, et, quand elles le sont, les résultats ne sont pas là. Ce Monarque a dégradé les comptes publics plus fortement que la crise ne le laissait prévoir. On ne compte plus non plus le nombre de projets qu’il a politiquement mal géré : les tests ADN, Hadopi, la taxe carbone, l'Iran, les prisons, le RSA, le paquet fiscal, etc.
Sa diplomatie est indigeste, indigne ou dangereuse. Alors qu’une nouvelle administration américaine affichait sa volonté de dialogue lucide, ferme et apaisée, Sarkozy est en passe de réussir à placer la France comme le nouvel épouvantail des terroristes de la planète, et ce, sans les honneurs d’une politique étrangère humaniste respectueuse des droits de l’homme. Regardez l’exemple de Clotilde Reiss, toujours emprisonnée dans l’ambassade de France à Téhéran. La France a payé l’inconséquence verbale de son président.
Enfin, la déstabilisation de l’adversaire de l’Elysée passe aussi par deux disciplines complémentaires : harceler et taire les divisions. L’opposition, et c’est normal, cherche à départager ses futurs concurrents pour le prochain premier tour de l’élection présidentielle.
Il lui restera à consacrer cette énergie à tacler régulièrement, quotidiennement, infailliblement le Monarque.