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Une parole qui s'avère superflue...

Publié le 20 septembre 2009 par Perce-Neige
Une parole qui s'avère superflue...

Interroger la nature du réel… C’est se poser la question de ce qui nous pousse à l’interpréter. Car mieux vaudrait, peut-être (souvent ?), s’en tenir au constat que le réel n’est d’autre qu’un bloc de silence. Dans « Le monde et ses remèdes » (Perspectives critiques. PUF), Clément Rosset qui, à travers une approche pessimiste et tragique de l’existence, semble avoir toujours prôné une représentation lucide de la réalité écrit ceci : « Le monde est donc essentiellement muet. Lorsqu'on s'est défait des bruits du monde qui nous voilent le réel en nous l'assourdissant, lorsque l'on en revient à l'être lui-même, à ce qui est antérieurement à tout regard et toute interprétation, on rencontre le silence. « Como se pasa la vida, como se viene la muerte, tan callando, » dit le poète espagnol Manrique. Tout ce qui se passe d'important dans la vie des hommes se passe sans mot dire, tout ce qui arrive dans le monde arrive comme à pas feutrés, est surgi là sans prévenir ni se faire annoncer, tout ce qui est l'est en silence - tan callando. Le monde ne parle pas, ne nous apprend rien de ce qu'il est, est là simplement, dans le plus grand silence. C'est là la pensée pascalienne du « dieu caché» : on interroge en vain toute chose et tout être; leur origine, qui est Dieu, s'est dissimulée derrière sa création, et s'est reléguée elle-même dans un impénétrable silence. Comme nous le disions, le monde, avant d'être, ne s'est point fait annoncer: et le grand annonceur manquera toujours pour nous présenter le donné. Dieu est caché, c'est-à-dire que le monde est muet. Jamais nous ne saurons pourquoi la brique est rouge, pourquoi le ciel est bleu, pourquoi je suis né mâle, pourquoi le fils de Géronte s'est embarqué à bord de sa galère. Interrogés, ni la brique, ni le ciel, ni le fils de Géronte, ni moi-même, ne pouvons répondre. Les choses sont ce qu'elles sont, mais ne parlent pas d'elles. Plus encore que Pascal, c'est Schopenhauer qui le premier montra dans son évidence fulgurante le silence impénétrable de toute chose, et peignit un monde totalement opaque, totalement muet. Il n'est rien, dans le monde schopenhauerien, qui ajoute à lui-même le moindre élément d'explication ou de justification; tout est simplement, et silencieusement, de l'être - et rien de plus. Rien dans l'être qui nous renseigne sur son être, rien qui nous en parle, parce qu'il n'y a aucune causalité réelle dans le monde, et que tout ce qui y est y est sans cause, la brique, le ciel et moi. La grande profondeur de Schopenhauer est d'avoir dégagé la raison essentielle du silence dans l'intuition de l'absence fondamentale de causalité. Tout ce qui nous « parle» en apparence dans le monde, tout ce qui vient atténuer notre angoisse en nous faisant miroiter une quelconque raison, un quelconque bien-fondé, à l'origine de toute existence et de toute tendance, tous ces échos mensongers que nous croyons recevoir du mur du donné, revêtent en effet toujours une notion plus ou moins causale. Le seul langage que puisse nous tenir le monde, la seule parole qui puisse rompre le silence, la seule raison qui puisse éclaircir en partie l'énigme de tout être, ne sauraient manquer d'évoquer une quelconque causalité, qu'elle soit de nature scientifique ou mystique, nébuleuse ou précise. En définitive, le langage de la causalité est le seul langage possible du monde, car elle seule pourra nous apprendre quelque chose à l'intérieur, nous faire pénétrer de force dans le donné; et si toute causalité est absente, toute parole est superflue. »


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