On ne doit pas !-Juste un peu pour rire, à la bonne franquette ?-Non. Ça commence en blague anodine et ça se termine en incitation à la haine raciale.-Juste un petit calembour, genre « Bénin soit qui Mali pense ». -Non ! -Ou« Mao met les voiles ». -Encore moins !- Et le cri du petit circoncis qui réchauffe : « houille houille houille mazout» ?-Surtout pas !-Alors une histoire belge ? suisse ? corse ? ch’ti ? -Je vous aurai prévenu. -Même pas une petite vanne sur les blondes ? les grosses ? -Non !-Au moins celle de Jésus qui dans la foule miraculeusement nourrie voit se leverunFrançais de souche : « Seigneur, y a pas de fromage avec tout ce pain ?»-Oui, là d’accord, on peut, mais ça ne fera même plus rire.
Voilà le dialogue de frustration que je remâchais dans mon for intérieur en me dirigeant vers le marché avec circonspection, aussi inquiet de heurter un noir ou de froisser un beur que de choper la grippe A.Tout à coup, j’entends deux voix familières, je me retourne et c’étaient mes vieilles.
-Eh ben, m’ame Daube, où vous étiez donc ? je vous ai crue morte.
-D’ennui, M’ame Michu, d’ennui. J’ai passé l’été chez mon neveu en Auvergne.
-L’air y est vif, vous nous ramenez une mine de gardien de phare.
-Le drame de l’Auvergne, m’ame Michu, ce n’est pas la qualité de l’air, c’est la raréfaction des Auvergnats. Ne me vantez plus la France profonde. Des patelins sans postes, sans toubibs et sans boulangers, deux trois Anglais ou Hollandais sans conversation au kilomètre carré, dans des fermettes sans poules où l’on importe même le thé et le fromage à pâte cuite. J’ai dormi debout tout le temps. Et pas un people aux infos pour relever le plat : tous terrés en villégiature, motus et bouche cousue, même notre Président, enfermé avec sa cigale au Cap Nègre, quand, soit dit en passant, il y a le fort de Brégançon et le château de Rambouillet entretenus aux frais de la princesse pour personne. Bref, m’ame Michu, je suis ravie de vous revoir. -Et moi donc, m’ame Daube ! Vive la rentrée ! Ca grouille, ça touille, ça ratatouille. Vous avez vu les socialistes ? Je me demande des fois s’ils sont pas appointés pour nous divertir. On les croyait rabibochés, la peignée reprend de plus belle. Les paris sont ouverts. Moi je mise sur Ségolène : plus crampon que le chihuahua de ma belle-soeur, et pas du genre à lâcher prise au premier sang.-Alors moi je prends Martine, et j’ai mes chances, vous verrez : aussi gonflée qu’elle en a l’air, et plus ficelle que la gamine du cinquième, glissant des limaces dans les boîtes à lettres et osant accuser le facteur… Où sont les hommes, m’ame Michu ? Je ne vois au PS que de roses messieurs qui soupirent. Je me demande des fois s’ils en ont.
-Chut ! ,m’ame Daube, y a des enfants…DSK en a, c’est sûr, peut-être même un peu trop. Le petit Valls sans doute, tendancecastagnettes et flamenco, poil ténébreux et voix de velours. Il veut le changement de génération mais il n’a que dix ans de moins que ces dames…
- On dit que le Peillon est agrégé de philosophie : croyez-vous que ça aide ?- A toucher le peuple, j’en doute, mais ça rend humaniste, ça permet par exemple d’asseoir sur la même estrade un Hue rouge, un Cohn vert et une oie blanche.
-Je vous trouve dure avec cette pauvre Sarnez. Pour gober si longtemps son Bayrou, moi je dis qu’il faut de l’estomac. D’ailleurs, vous avez vu, elle s’est fait refaire les dents.
-Vous croyez qu’il y arrivera, son Béarnais, sur le trône ? On n’en a pas vu depuis Henri IV.
-Entre nous, je lui souhaite pas, m’ame Michu. Trop d’émotion pour un bègue…
-Chut ! enfin, m’ame Daube ! Y a des choses qui se pensent et ne se disent pas. Ne vous étonnez pas après si le tripier, qui est de Pau, vous refile de la tripe avariée…
Elles continuaient, mais j’étais servi. J’ai mis mes deux rognons de porc dans le filet, par-dessus mon avocat d’Israël, mes dattes de Tunisie et ma pastèque d’Afrique du Sud. Il me fallait encore mon croûteux de Saint-Nectaire. Je file à l’étal de la Petite Auvergne : « Fermé cause vacances ». Et me voilà rentrant sans lait cru, autant dire sans âme à mon âge, méditant sur les bornes de l’humour et ravalant le désappointement de devoir finir monboulaouane avec de la vache-qui-rit.
Arion