2006
Walter Hill
Avec : Robert Duvall, Thomas Haden Church, Gwendoline Yeo, Greta Scacchi
Attention, c’est un téléfilm de trois heures, c’est à dire qu’il faut le voir comme tel, par petits bouts, comme une mini-série, pour s’attacher petit à petit aux personnages. On est un peu désarçonné au début, ça traine, c’est un peu lent, au bout de quarante cinq minutes, il ne s’est toujours rien passé. Walter Hill prend son temps pour filmer les chevaux, puis les herbes hautes, puis les chevaux au milieu des herbes hautes, c’est beau la mélancolie désincarnée, mais point trop n’en faut. Robert Duvall joue à nouveau le cowboy finissant, le cowboy trop vieux mais qui n’a pas la possibilité de prendre sa retraite, le cowboy un peu gauche, touchant, avec son accent incompréhensible. Thomas Haden Church (qui avait déjà tourné dans Tombstone) est son neveu, un brin monolithique, ils convoient ensemble des centaines de chevaux à travers les étendues américaines. Et leur route croise celle d’un esclavagiste qui transporte cinq jeunes chinoises promises à un destin pire que la mort : la prostitution. Le film s’attache fort à décrire les inquiétudes des chinoises, de très nombreux passages sont en chinois sous-titrés, ce qui est sans doute rare à la télévision américaine (comme française d’ailleurs, ne pas voir dans cette remarque l’habituelle condescendance envers les américains, toujours censés être plus neuneus que nous), elles ne comprennent littéralement pas ce qui se passe, et c’est seulement au fur et à mesure qu’elles intègrent que leurs nouveaux protecteurs sont bons et droits qu’elles se détendent petit à petit. Cet effort pour tenter l’identification du spectateur avec non seulement des femmes, mais en plus des chinoises, dans un western, est admirable. Elles n’ont aucune latitude pour agir, mais à aucun moment elles ne sont nunuches, nulle part elles n’apparaissent comme de simples faire-valoir de héros virils. Chacune sa personnalité, chacune se démarque, en particulier Gwendoline Yeo et son sourire radieux, que l’on a vu dans Desperate Housewives. En parlant de destin pire que la mort, les deux d’entre elles qui se font violer finissent par en mourir, tant il leur est impossible de vivre avec ce déshonneur. Je ne suis pas du tout assez calé sur cet aspect de la mentalité féminine chinoise de la fin du XIXe siècle pour savoir s’il est bien documenté, ou s’il appartient plutôt au domaine du poncif orientalisant (au même titre que les pieds minuscules de l’une d’entre elles), mais on sent néanmoins un vrai désir de le rendre crédible, de faire partager l’effroi de ces jeunes « recrues » immergées en milieu hostile, et rien que pour ça, Broken Trail est une réussite, car ce film explore des territoires nouveaux dans le monde du western, avec des figures – fantômes dans tous les autres westerns - qui n’avaient jamais été exploitées auparavant. Plus que la condition des esclaves sexuelles chinoises, c’est aussi la condition des prostituées tout court qui est fortement évoquée, à travers le personnage joué par Greta Scacchi. Certes c’est ici moins nouveau, le film étant passé après Deadwood, dont Walter Hill avait d’ailleurs tourné l’épisode pilote, mais le thème reste bien traité. On pourrait presque dire que Broken Trail est un western de femmes.
De Deadwood, Walter Hill a retenu la boue, la brume qui ne se dissipe pas et la vapeur qui jaillit des naseaux des chevaux, avec le frchhhh caractéristique, les campements miteux et les villes champignons au milieu de la mélancolie hivernale. On retrouve avec grand plaisir les hommes engoncés dans leur vestimentation qui leur colle à la peau et les putes rougeaudes, les chevaux qui galopent d’un pas lourd dans l’herbe grasse, évoquant bien plus des destriers moyenâgeux que le Tony nerveux de Tom Mix. On est bien dans le western des années 2000, outre Deadwood on pense aussi à l’ambiance crachoteuse de L’assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford, et bien sûr on pense à Open Range et ses étendues, Robert Duvall déjà et les coups de feu sales et vicieux. On remarque alors que nos deux héros sont droits dans leurs bottes, ils ne profitent pas des chinoises, ils ne se payent jamais de putes, ils restent dignes. On peut sourire, penser que c’est probablement totalement anachronique, mais on y croit. Il est juste dommage que le scénariste ait cru bon d’en rajouter une couche en leur faisant abattre froidement un abject disséminateur de couvertures variolées à destination des indiens, c’est la faute de goût, le petit moins très XXIe siècle qui n’apporte rien aux personnages, et qui au contraire les décrédibilise. Dommage, mais sur trois heures de film, ça passe presque inaperçu. On est content pour Walter Hill, qui est passé du statut d’auteur estimé de ses débuts à la déchéance de son 48 heures de plus, de la violence Peckinpienne à la consensualité de Wild Bill, pour finir avec ce petit bijou poétique et merveilleux. Le budget est parfois un peu serré, mais c’est du grand art tout de même, le western n’est pas mort, Broken Trail le prouve. Le DVD: A vrai dire, je n'ai rien à dire sur le DVD lui même. Je ne devrais rien avoir à dire sur les analphabètes qui ont rédigé le résumé de la jaquette non plus, je suis un analphabète moi-même, je relis parfois mes textes vieux de deux ou trois ans et je trouve des fautes énormes. Mais quand il s'agit de professionnels, ça m'énerve. Une faute de conjugaison et une faute d'accord sur quatre lignes, ça m'énerve (en plus du fait d'écrire "Une fresque épique de plus de 3 heures" alors que les petites lignes juste en dessous annoncent 2h56). Quand après cela vous lisez la critique de Dvdrama, qui multiplie les fautes de français incroyables, les fautes sur les noms des acteurs (et même sur le titre du film!) et les inexactitudes (le film a été nominé pour trois Golden Globes, mais ne les a pas gagnés), on se dit que notre langue est perdue à jamais et que le travail de pro n'existe plus.