“L’Algérie est un autre candidat possible au statut de puissance nucléaire. Ses capacités dans ce domaine sont peu connues, mais pourtant bien réelles. Si l’armée avait laissé le Front islamique du salut (FIS) remporter le deuxième tour des élections législatives en janvier 1992 – au lieu de les annuler, au prix d’une terrible guerre civile dans les années qui suivirent – l’Algérie serait peut-être aujourd’hui gouvernée par un régime islamiste disposant de l’arme atomique…
Le programme secret conduit par l’armée algérienne n’a été découvert que très tard. Quelles étaient les intentions d’Alger ? Du point de vue d’un ancien ministre en fonction à l’époque – mais qui n’avait pas été tenu au courant du programme – cela ne fait aucun doute : les militaires voulaient disposer d’une « option nucléaire ».
“L’Algérie dispose d’une infrastructure nucléaire très importante, quasiment équivalente à celle de l’Égypte, et de solides compétences scientifiques et technologiques dans ce domaine, fédérées par plusieurs institutions de recherche (notamment le Centre des sciences et de la technologie nucléaires). En 1991, l’Agence internationale pour l’énergie atomique savait qu’elle s’était dotée d’un petit réacteur de fabrication argentine, et qui était entré en service deux ans auparavant. Ce réacteur à eau légère dénommé Nur (« lumière ») de faible puissance (un mégawatt thermique), était surveillé et ne comportait pas de risque de prolifération.
Mais ce que l’Agence ne savait pas, c’est que l’armée algérienne avait signé, en 1983, un accord avec la Chine pour la fourniture d’une installation beaucoup plus importante. Un réacteur de quinze mégawatts thermiques, dénommé es-Salam (« paix ») avait été construit à la fin des années 1980, dans le secret le plus total, sur le site d’Aïn Oussera, dans le désert du Sahara, à deux cent cinquante kilomètres au sud de la capitale. Il n’a été découvert qu’en 1991 par les satellites américains. Utilisant l’eau lourde comme fluide modérateur, il se prêterait assez facilement à une utilisation militaire : il pourrait permettre, à partir d’uranium naturel, de produire en un an assez de plutonium de la qualité nécessaire pour une bombe.
Après la découverte du réacteur, les soupçons furent attisés par le rappel par Londres, le 10 avril 1991, du colonel William Cross, l’attaché militaire britannique en poste à Alger. Ce rappel avait été exigé par le gouvernement algérien, l’officier ayant eu l’idée de s’approcher un peu trop près de la base d’Aïn Oussera. Le lendemain, l’existence du réacteur est révélée publiquement par un article du Washington Times, sous la plume du journaliste Bill Gertz (spécialisé dans les fuites, calculées ou non, en provenance du Pentagone et des services de renseignement).
L’Algérie s’apprêtait alors à mettre en service le réacteur d’es-Salam. La révélation publique de l’existence du réacteur la força à déclarer son existence à l’AIEA et de le mettre sous le contrôle de l’Agence. Sans doute les dirigeants algériens n’avaient-ils guère le choix : le gouvernement était en difficulté, et dépendant de l’assistance étrangère.
Mais les questions relatives au programme algérien restent d’autant plus pertinentes qu’après la mise en service du réacteur es-Salam, Pékin a poursuivi sa coopération avec Alger au travers de deux contrats signés en 1996, qui concernaient la production d’isotopes et la construction de cellules chaudes.
Le réacteur étant opérationnel depuis 1992, l’Algérie pourrait disposer aujourd’hui de combustible irradié ayant refroidi plus de dix ans, ce qui rendrait sa manipulation plus facile. (Il est possible que certaines barres de combustible auraient été retirées sans que l’AIEA soit avertie.)
Au regard des sources publiques, le statut exact des capacités actuelles de l’Algérie en matière de séparation de plutonium reste incertain. Plusieurs bâtiments du complexe d’Aïn Oussera ont été identifiés par des analystes comme pouvant accueillir de telles installations – mais l’AIEA n’y a pas eu accès. Un analyste israélien parle de capacités « dormantes » mais réelles.
L’Algérie dispose également d’une usine de fabrication de combustible, et de réserves d’uranium significatives. Elle est ainsi l’un des seuls pays du Moyen-Orient qui pourrait prétendre à un programme nucléaire entièrement autonome.
Certes, Alger n’a probablement pas de raison immédiate de lancer ou de relancer des activités dédiées au nucléaire militaire. De fait, en dépit de relations traditionnellement difficiles avec certains de ses voisins (Libye, Maroc), aucun d’entre eux ne constitue aujourd’hui une menace militaire immédiate. Alger prétend d’ailleurs ne pas être intéressée par l’enrichissement ou le retraitement.
Mais les caractéristiques de son programme, son soutien ouvert à l’Iran, et son refus de souscrire au Protocole additionnel de vérification de l’AIEA, attisent les soupçons et ne peuvent que conduire à la conclusion que l’Algérie doit être classée dans les pays « à risque » du point de vue de la prolifération. (Le texte du protocole additionnel concernant ce pays a été approuvé par l’AIEA en 2004, mais, cinq ans plus tard, ce texte n’avait toujours pas été ratifié par les autorités locales. Le moins que l’on puisse dire est qu’Alger ne semble pas pressé de voir les inspecteurs de l’Agence mettre leur nez dans ses installations nucléaires.) Pour des raisons de statut, elle pourrait ne pas vouloir laisser l’Arabie Saoudite, et surtout l’Égypte, devenir la première puissance nucléaire arabe. Un éventuel programme nucléaire militaire pourrait aussi contribuer, comme cela a été le cas au Pakistan par le passé, à garantir la pérennité du contrôle de l’armée sur le régime…”
Secret Defense/ Liberation.fr