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Retraites : les solutions simples ne sont pas forcément les meilleures

Publié le 14 octobre 2007 par Cabinetal

Le dispositif de retraite français souffre de 2 maux. D'une part, le vieillissement de la population va le rendre de plus en plus coûteux et d'autre part ce phénomène va être aggravé par l'inégalité entre systèmes (ceux qui paient n'étant pas forcément ceux qui perçoivent ; cf. mon billet du 14 juin 2006). Ainsi, selon une étude de l'INSEE publiée en 2006, les régimes spéciaux, qui bénéficient à moins de 25 % des Français, généreront à l'horizon de quelques décennies plus de la moitié des déficits. Ces arguments n'ont pas laissé le très poujadiste syndicat SUD insensible, qui propose une solution de choc : « yaka faire payer les patrons et les actionnaires ! ». La démonstration est éclatante. Mais elle repose sur un postulat fort contestable : celui que l'accroissement des prélèvements n'a aucun effet sur l'activité économique. Analysons le cheminement.

Que dit SUD ? « Le Produit Intérieur Brut » (le PIB), c'est-à-dire la richesse que nous produisons collectivement dans le pays, continuera d'augmenter ; il y a 40 ans, les retraites coûtaient 6% du PIB, 12 % aujourd'hui et 18 % dans 40 ans ». Jusque là rien à redire. Poursuivons la démonstration : « le coût des retraites représentera 540 milliards d'euros dans 40 ans sur un PIB de 3000 milliards, c'est plus qu'aujourd'hui mais laisse 2500 milliards à d'autres dépenses ». La solution est donc simple : « ramener les profits que patrons et actionnaires se font sur le dos des salariés à ce qu'ils étaient il y a 20 ans (et c'est déjà beaucoup trop) dégagerait chaque année une somme 40 fois supérieure à ce qui est présenté comme nécessaire pour sauver les retraites ».

Les années 70 – 80 auraient elles donc constitué l'âge d'or du salariat ? Les données chiffrées semblent donner raison a priori à cette thèse. Au début des années 80, les salaires, (c'est à dire ce qui est versé aux salariés et l'ensemble des charges sociales payées), représentent presque les 2/3 du PIB, contre un peu plus de la moitié en 2006. Selon Thomas Piketti, la valeur ajoutée brute se répartit à hauteur de 75 % - 25 % entre travail et capital au début des années 80 contre une répartition 65 % - 35 % à ce jour.

Il serait pourtant très rapide d'affirmer que les salariés ont été gagnants. Jusqu'au milieu des années 85, la politique française est largement d'inspiration keynésienne – que ce soit avec Valérie Giscard d'Estaing ou François Mitterrand - : il faut soutenir la demande, ce qui veut dire « soutenir les salaires » et « faire payer les patrons ». Avec 2 conséquences : les salaires réellement payés (c'est-à-dire incluant les charges dites patronales, qui ne sont que du salaire prélevé) tendent à dépasser la productivité du travail, ce qui signifie que certains salariés vont coûter plus chers qu'ils ne produisent et que les marges bénéficiaires des entreprises s'érodent. Laissons Patrick Arthus (économiste appartenant au Conseil d'Analyse Economique et au Cercle des Economistes) commenter la situation cette époque : « Le résultat ne se fait pas attendre : chute de la profitabilité des entreprises, arrêt de l'investissement productif (croissance zéro en 1983), envolée de l'inflation, hausse des taux d'intérêt ... A la fin de 1981, le chômage, la mévente des produits français, l'arrêt des investissements ... condamnent l'expérience ». De plus, le coût élevé du travail a incité les entreprises à privilégier les technologies les moins créatrices d'emploi. Les entreprises travaillent pour dégager un bénéfice. Que celui soit absent, et les entreprises réduisent leurs investissements. Au détriment de l'emploi et du niveau de vie de la collectivité. Ce n'est pas plus difficile que cela !

L'analyse de SUD comporte un second point faible. Ce qui n'est pas versé aux salariés irait selon l'analyse de ce syndicat dans la poche des « patrons et des actionnaires ». Posons que seules les entreprises du secteur marchand ont « des patrons et des actionnaires ». Quelle est la part réelle du PIB que ces derniers « s'approprient »? 7 % avant impôt !!! C'est que la notion de valeur ajoutée brute affectée au capital est un fourre tout. Elle rassemble par exemple le loyer perçu par un particulier propriétaire d'un bien immobilier ou les intérêts des livrets d'épargne détenus par les ménages. Il en va de même pour ceux propriétaires de leur résidence principale : ils reçoivent un loyer fictif représentant le loyer qu'il devrait se payer (cela, pour éviter que les chiffres soient perturbés par le statut juridique du logement). Il en est de même pour les administrations qui perçoivent des revenus du capital (loyers, interets, dividendes ...) dont une éventuelle diminution devrait être compensée par des impôts supplémentaires.

La valeur ajoutée brute, de plus, n'est pas la mesure de la richesse conservée. Pour les entreprises, elle va servir à payer les intérêts des emprunts. Il faut également déduire les amortissements, qui représentent l'usure des biens de production (matériels, bâtiments, incorporel ...), qui sont des charges importantes. Bref, la confiscation intégrale des « profits » ne permettrait pas de financer la hausse attendue du poids des retraites !

Il y a surtout un élément effrayant. C'est la facilité avec laquelle SUD envisage de prélever des richesses produite par d'autres pour financer une « non création de richesse » au profit de quelques uns. Comme sous l'ancien régime, le citoyen redevient « taillable et corvéable à merci ». Au détriment de l'emploi et du pouvoir d'achat.

L'inconvénient majeur du régime par répartition est son aisance à dériver vers quelque chose de peu démocratique. En effet, ce sont les générations actuelles qui décident de leurs conditions de retraites, malheureusement trop souvent jusqu'à présent dans leur seul intérêt. Elles engagent donc les générations à venir, qui par définition, ne peuvent s'exprimer. Aujourd'hui, les lenteurs à réformer les dispositifs de retraite réduisent la qualité du système de santé et l'efficacité de la lutte contre la pauvreté. Qu'il s'agisse de rejets de carbone, de dette publique ou de retraite, les générations du baby boom ont largement vécu à crédit. Ce qu'elles risquent désormais, c'est de voir s'opposer une fin de non recevoir par ceux qui refuseront de payer la facture.

(PS : le 18 octobre est une journée d'action à la SNCF. Je vous invite à relire mon billet du 5 août dernier qui commente parfaitement cette situation)


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