J’ai toujours globalement cautionné et défendu Muse, même lorsque certains de leurs titres (comme par exemple sur Origin Of Symmetry ou sur Black Holes And Revelations) flirtaient quand même lourdement avec l’emphase et la boursouflure.
Comme je ne peux quand même pas défendre l’indéfendable, je suis obligé de mettre le holà avec The Resistance qui dépasse toutes les bornes du bon goût et de la légèreté.
Ce n’est pas que l’album commence mal. En effet, avec le recul, leur premier single "Uprising" (pourtant difficile à passer cet été lors des premières écoutes radio) est sans doute le meilleur moment de tout le disque. Il a le mérite d’être dansant et entraînant, même si l’ambiance des stades (auxquels les Muse semblent maintenant abonnés, voir HAARP) pointe parfois un peu trop le bout de son nez.
Quand à "Resistance", le deuxième titre, il peut encore être globalement défendu, même si très franchement il est difficile de ne pas penser à Robert Miles sur les claviers introductifs et que les chœurs de "It could be wrong" sont affligeants ! Au moins cette compo laisse-t-elle encore une place pour le souffle épique et crescendo qui a fait la renommée de Muse (et qui agaçait déjà certains).
Le problème devient insoluble dès le troisième titre, "Undisclosed Desires", où là on ne voit plus bien où veut nous amener le trio. Enfin ou plutôt si, on voit bien, mais on n’a pas trop envie de le suivre par ici justement : un trip vaguement electro disco mais pas très bien amené, sans grand intérêt et qui fait gravement baisser le niveau.
Du coup, parce qu’ils ont bien senti que ce terrain-là ne va pas trop nous convenir, les trois sacripants essayent, dès le quatrième titre, de nous amener sur un autre terrain : celui du romantico-classico-gazeux. "United States Of Eurasia (+ Collateral Damage)" est en effet introduit par des notes de piano sur lesquelles viennent s’inscrire des nappes de cordes. Jusqu’à ce que, à 1.20 minute, ils nous décochent une montée à la Queen qui enchaîne avec des instrumentations orientalisantes. Ce patchwork bancal et dangereux se poursuit ainsi pendant encore quelques minutes, avant le ridicule final : en effet, sans transition, le morceau se clôt par un fameux thème au piano de Chopin repris tel quel, avec simplement sur la fin des voix d’enfants et le passage d’un avion à réaction.
Coup de théâtre : Chopin (le vrai, note à note) peut donc coexister avec Muse. Est-ce, de la part du trio, une marque de vénération à l’égard du glorieux aîné, ou un manque total de modestie ? Dans les deux cas, cela n’enlève rien au kitsch de l’ensemble. L’auditeur devient alors plus que perplexe, il sent que quelque chose est en train de déraper et risque de ne jamais revenir sur le droit chemin (en tous cas pour cet album).
On ne peut pas dire que le reste va lui donner tort, bien au contraire. Le morceau suivant, "Guiding Light", est franchement indigeste, surtout lorsque le solo de guitare à l’inspiration hard-rock FM vient agresser l’auditeur.
Que dire ensuite de "Unnatural Selection", dont les orgues introductifs (façon Toccata de Bach sans le talent) sont immédiatement sabrés (tant mieux) par un riff de grosse guitare à la Rage Against The Machine, très musien dans l’esprit (genre "New Born") et qui laisse espérer quelque chose, malheureusement immédiatement éteint (l’espoir) par un break et un refrain un peu trop plein d’affectation et qui (pour faire plaisir à ma sœur) est légèrement inspiré de System Of A Down. Hop, voilà-t-y pas qu’après une reprise de cette structure un coup, on enchaîne sur un trois temps où, à nouveau, un solo de guitare en deux parties, un peu nase et bien enflé, en rajoute encore une couche dans le lourdingue. Comme ils ne sont plus à ça près, ils reviennent sur la structure de départ (à la System puis à la Rage) parce qu’il faut quand même faire un morceau qui voisine les 7 minutes !
"Unnatural Selection" était peut-être quand même l’un des trois titres les moins pourris de l’album car la fin de The Resistance va tout dépasser en n’importe quoi. "MK Ultra" aurait peut-être pu donner quelque chose mais il aurait fallu vouloir arrêter de changer à tout prix systématiquement de rythme et de style au cours de la chanson. Or comme ils n’y sont pas décidés, ben le sentiment d’indigestion s’amplifie.
"I Belong To You / Mon cœur s’ouvre à ta voix" ne va rien arranger : une basse et un piano un peu groovy (limite à la Maroon Five) se voient damés le pion, par moments, par des chœurs "oooh oooh" sans subtilité et des envolées pianistiques romantico-ratées, avec à nouveau l'incrustation d'un "vrai" air de classique. Un long break involontairement cocasse oscille entre Rachmaninov, Queen et le néant (Matthew Bellamy pousse des grands cris, il semble y croire, déchiré qu’il est par l’émotion).
Mais on est pourtant loin de s’attendre à l’apothéose finale, totalement ratée et même globalement grotesque : trois titres ("Exogenesis : Symphony") formant une espèce de symphonie directement inspirée par les musiciens que Matthew Bellamy aime tant mais qu’il aurait peut-être mieux fait de ne jamais découvrir (Bach mais surtout Chopin, Rachmaninov et plus généralement tous les romantiques). Ici une perméabilité totale avec le classique se fait jour, mais ça ne fonctionne pas. Toujours ce même kitsch, cette impossibilité de recoller grâce à la distance ou l’ironie, ils y vont à fond, convaincus que ce qu’ils font est bien, du coup ça nous fait un peu de la peine, on est mal à l’aise pour eux, mais franchement on n’arrive pas à adhérer. Un cap est franchi, l’équilibre parfois précaire sur lequel reposaient les précédents albums s’écroule et les pires défauts de leur inspiration, déjà latents et larvés par le passé, explosent en pleine lumière et surtout aux oreilles de l’auditeur.
Je ne vois pas comment The Resistance pourrait être accueilli positivement : tant par les détracteurs habituels (qui ont là de quoi justifier toutes leurs critiques antérieures) que par les fans. A part les purs et durs qui seraient prêts à leur passer n’importe quoi, qui va pouvoir accrocher et s’enthousiasmer ?
Un camouflet d’ensemble risque donc de peser sur le groupe, avec deux possibilités : soit les faire revenir à quelque chose de moins délirant, soit au contraire les positionner dans la case "artistes maudits et incompris", ce qui pourrait leur donner envie d’en rajouter, de persister et signer dans cette veine.
Espérons qu’il n’en soit rien, ces trois-là sont quand même parmi les plus doués de leur génération, ils peuvent encore faire des choses sympa pour le rock et la musique, mais il est urgentissime d’oublier ce fiasco et de repartir sur d’autres bases ! Marche arrière toute, avant de se fracasser dans le mur il faut comprendre qu’on s’est fourvoyé dans une impasse !