Une Saga Moscovite - Vassili Axionov - Traduit du Russe par Lily Denis - Editions Gallimard
J’ai lu pour la première fois ce roman à sa sortie en 1995 au temps où les billets de blog n’existaient pas. L’avoir désigné auteur du mois sur le site Lecture/Ecriture est un joli hommage à rendre à cet écrivain au destin hors du commun et disparu en juillet 2009.
Pour entrer dans le monde d’Axionov il faut vous transporter en Russie, juste après la révolution, au moment où Staline va accéder au pouvoir, c’est lui qui va rythmer ce roman. Nous suivrons le destin de tous les personnages, ballotés par les évènements, maltraitrés, emprisonnés, jusqu’à la mort du Petit père des peuples.
Le chef de cette famille de la Nomenklatura soviétique : Boris Gradov " cinquante ans, un homme encore parfaitement svelte, au complet bien coupé et seyant, à la petite barbe taillée avec soin " médecin, issu de la bourgeoisie mais prudemment reconverti à un communisme discret, respecté par la communauté médicale. C’est lui qui va déclencher la tourmente, appelé en consultation auprès d’un membre du bureau politique il a le malheur de poser un diagnostic qui déplait, la victime est liquidée lors de l’intervention chirurgicale et Boris Gradov fait silence sur ce meurtre, sa conscience le poursuit.
Il s'est trouvé au mauvais endroit, au mauvais moment, sa famille et lui vont en payer le prix.
Moscou au moment de la révolution
Tous vont connaitre un destin tragique mais tous d’une façon différente, chacun d’eux représentant une part des horreurs de la dictature stalinienne.
Le fils aîné Nikita a embrassé la carrière militaire et sera très tôt nommé général. Il a participé à la répression du soulèvement des marins de Cronstadt en 1921, cela serait à son crédit s’il n’en éprouvait pas un remord profond, persuadé que l’on a fusillé des innocents. Son épouse Véronika est connue pour ses goûts de luxe, pour tout dire des goûts bourgeois, ce qui n’est pas bon pour l’avenir d’un Général de l’Armée Rouge.
Il connaitra la prison de Lefortovo et le goulag et ne retrouvera la liberté que pour aller combattre les allemands.
Kyrill lui est le parfait bolchevique stalinien, pur, dur, sans état d’âme. Il travaille dans les villages où les populations sont soumises de gré ou de force à la collectivisation.Les paysans, les femmes, les enfants sont déplacés comme du bétail vers l’abattoir. Il parait à l’abri de la tempête, mais c’est sans compter sur un sursaut d'humanité envers un enfant, ce geste lui coûtera sa liberté. Il se marie avec Tsilla communiste convaincue qui affirme " j'aime mon père, mais en tant que communiste, j'aime encore plus mon parti " mais communiste ou pas Tsilla est juive et le régime stalinien profondément antisémite lui en fera payer le prix.
Enfin Nina, poétesse, communisme mais qui réserve sa ferveur à la poésie plutôt qu’au régime, que son soutien à Trotsky contraindra à quitter Moscou, elle partira vivre en Géorgie où elle croisera Mandelstam mais aussi le terrible Lavrenti Béria
La guerre viendra s'ajouter aux souffrances et aux horreurs.
Lavrenti Béria et la fille de Staline
C’est à travers le sort de ces personnages que Vassili Axionov nous dresse un tableau gigantesque de cette période. Sa fresque historique que l’on a qualifiée de « Guerre et paix » du XXè siècle est pleine de « bruit et de fureur », Axionov ne nous épargne rien : dénonciations, surveillance, torture, déportations, goulag, massacre de la population juive. Il nous fait ressentir la peur qui nait chez chacun et fait dire à Mandelstam " Ces grosses voitures noires....Quand je les vois, quelque chose d'aussi gros et d'aussi noir s'élève du fond de mon âme. Je suis poursuivi par la vision de quelque chose de terrible qui, inévitablement, nous étouffera tous.."
Réquisitoire absolu contre tous les totalitarismes, ce récit ample est plein d’émotions et passionnant de bout en bout, les digressions lors de certains
chapitres, loin d’affaiblir le récit, nous rendent parfaitement présente la propagande de l’époque.Ce roman n’est pas une autobiographie mais plusieurs éléments ressemblent de troublante façon au destin de la famille de Vassili Axionov et à son enfance marquée par la condamnation de ses parents.
Cela nous a valu deux chefs d’oeuvre : Une Saga moscovite et le récit d’Eugénia Guinzburg Le Ciel de la Kolyma
L’auteur (Photo d’axionov © Andersen/Sipa )
En 1980 Axionov est déchu de sa nationalité et expulsé. Il trouve refuge aux Etats-Unis
Depuis 2005, Vassili Axionov vivait pour l'essentiel à Moscou, même s'il séjournait régulièrement dans sa maison de Biarritz, en France