Les frontières de l'intimité

Publié le 18 septembre 2009 par Christophe Benavent

ETO et Marketing Audit , avec le concours de la CNIL et du Master MOI, viennent de présenter à la presse (on en trouvera un compte-rendu complet dans un article de Stratégie) les premiers résultats de la troisième édition du baromètre de l'intrusion.

Près de 30 000 consommateurs internautes ont été interrogés sur les messages qu’ils acceptent de la part des marques auxquelles ils sont fidèles et de la part des autres marques, mais aussi sur les informations personnelles qu’ils acceptent de partager, et leurs usages des nouveaux médias. Le sentiment d’intrusion semble augmenter et deux grandes leçons peuvent être tirées de l’étude :

  • Le sentiment d’intrusion est d’autant moins fort que la relation à la marque est satisfaisante. Construire la relation, pour les marques, est ainsi le préalable pour être écoutée par les consommateurs.

  • Les internautes ont pris conscience de l’information qu’ils donnent, et réclament en échange des avantages sonnants et trébuchants.

Voilà qui ouvre à une réflexion intéressante sur un sujet que nous avons déjà abordé ( ici et là), mais qui devra faire l'objet d'analyses empiriques plus approfondies.

L'idée de l'intrusion se construit dans celle de l'intimité. Cette part de soi que l'on retire aux autres, pour ne la donner qu'à quelques uns que l'on choisit. L'intimité, cet intérieur qu'on soustrait à la puissance du public, est cet espace que l'on soumet à l'ordre personnel, à nos fantaisies, et que l'on protège par un secret dont l'absolu ne concerne que ceux qui n'y sont pas conviés. L'intrusion de ce point de vue est ce regard que portent les importuns. Ne la confondons pas avec la notion de vie privée, qui relève du droit ou au moins de la convention sociale. Celui qui en enfreint les limites non seulement est un intrus, mais pire un violeur.

Ce que l'on doit comprendre est que les frontières de l'intimité ne coïncide pas forcement avec celles de la vie privée. Elles peuvent être en deçà ou au-delà. Et ce sera certainement une des voies d'approfondissement de cette étude, comprendre que les frontières de l'intimité sont extrêmement plastiques, et ne correspondent pas toujours aux droits. Elles varient en fonction des personnes, des marques, et des moyens de communiquer.

Certains sont pudiques, d'autres moins. Il est de bonne raison de penser que cette variation dépend d'un facteur important, celui de la ressource que l'on croit contrôler. Dans cette étude et dans d'autres, il apparaît que les moins fortunés accepte plus facilement le regard de l'autre que les mieux dotés. Dans cette hypothèse on retrouve une réflexion qu'un certain nombre d'historiens ont développée. La vie privée est une idée bourgeoise, récente, et l'intimité en est l'expression. Ceux qui ressentent l'intrusion sont ceux qui pensent avoir quelque chose à protéger. Et dans le rapport au marques on peut comprendre aisément que la frontière est d'autant plus imperméable que l'on se sent l'objet de leur convoitise.

L'intimité est aussi une question de relation. On livre beaucoup à ceux qu'on aime, qui nous proches et familier. Point de fard le matin, on se livre sans apprêt, sans crainte de leur regard, quitte à les les désespérer. Aux étranger on expose une surface travaillée, fabriquée. Aux marques que l'on aime on se donnera tel qu'on est, sans réflechir aux informations qu'on lui laisse. Aux autres on opposera une façade construite pour en tirer le meilleur avantage.

Mais ce n'est pas suffisant pour comprendre comment se construit la frontière de l'intimité, il faut aussi penser le média. Nous savons désormais que le plus puritain peut se mettre à nu, dans les forums et les chats, et que les plus natures se réservent une grande prudence quand ils sont sur la place publique. Ce n'est ni une question de ressource, ni une question d'amour, juste une question de contrôle et de maitrise de l'environnement dans lequel l'intimité se développe.

Cette enquête a la ressource de nous aider à mieux comprendre comment se forme la frontière de l'intimité. Elle permet d'explorer cette triple hypothèse que pour chaque sujet, la frontière de son intimité varie en fonction des ressources qu'ils croit représenter pour la marque ( la convoitise), de la relation qu'il entretient avec elle (la familiarité), et la maitrise de l'environnement (la compétence).

Quant à la seconde leçon elle se déduit de ces trois hypothèses. L'intimité n'est pas un absolu, mais le fruit d'une négociation, d'une économie. Ses frontières peuvent êtres étirées pourvu que cet élargissement soit récompensé. Et si nous voulions le comprendre vraiment, intéressons nous à l'art du nu. Ce travail profond que l'artiste entreprend pour obtenir du sujet ce que d'ordinaire personne n'obtient.

L'intrusion n'est pas une violation, le sentiment de violence qui peut en émerger provient d'une mauvaise négociation, d'un échange inégal et inique, l'intrusion peut parfois être aussi chargée d'une force érotique, pour autant qu'elle soit le fruit d'un travail de séduction.