Dans Le Monde, Pierre Assouline estimait récemment que sur les 659 romans de cette rentrée littéraire, 500 seraient oubliés aussi vite qu'édités ; même pas sortis des cartons, absents des tables des librairies. Mais au fond qu'est-ce qu'un livre invisible ? Celui dont ne parlent pas les journaux. Car au moindre entrefilet, jackpot, voici les livres enfin déballés ! Mais quand on sait que nos média parviennent à trouver "du génie" (sic) à la bonne Amélie Nothomb, des romans sous la plume d'Alexandre Jardin ou de la philosophie sous celle de Finkielkraut, cela donnerait plutôt envie de le rester, invisible. Suivis par personne d'autres qu'eux mêmes, les suppléments littéraires ne font plus la pluie ni le beau temps depuis lurette (en jargon mercatique : ils ne sont plus prescripteurs). L'univers des blogs et autres Facebook jouent, eux, aux passe-livre. S'y entend décidément une toute autre musique, faite de réels coups de coeur (en lieu et place des éloges de pure complaisance) et de soutien à des livres ambitieux et hors normes ; là où se fait, aussi chaotique, aussi brouillon que ce soit, la fermentation lente d'une édition autre, à l'écart - toujours en prise avec la passion de l'écriture - bien loin des combines. Quand la critique aura la puissance des média traditionnels et l'authenticité des réseaux sociaux fomentés par le net (net qu'on aura su purger de son pêché confusionniste), alors reviendront peut-être des lieux créateurs d'enthousiasme littéraire ; des lieux de confiance. La situation actuelle ne sert qu'à provoquer l'aigreur des recalés et la suffisance d'Olympiens auto-proclamés dont la position seule sert d'autorité à leur jugement de goût. Autant dire une foire grotesque ; des nains revanchards se battant au milieu de la boue avec des aveugles méprisants.