Dolce agonia

Par Anne Onyme

Dolce agonia - Nancy Huston

Babel Actes Sud, 499 pages

Résumé:

Dieu, qui se prend sans doute pour un romancier, se livre ici au malicieux plaisir de nous montrer, au début de chaque chapitre, vers quel destin s'acheminent à leur insu douze convives qui passent ensemble une soirée de Thanksgiving dans l'Amérique profonde. Ces convives, campés avec l'autorité que leur donne une romancière rompue à l'art de révéler le vertige des pensées et la valse des sentiments, conversent sur la naissance et la mort, ils discutent de l'existence et de l'amour, ils déballent leurs espérances et leurs désillusions, et font voir, au passage, le métissage complexe de leur société. Mais le lecteur, averti du sort qui les attend, assiste à leurs manèges avec, dans sa conscience, le poids d'une vérité qu'il est incapable de leur transmettre. Peu à peu apparaît ainsi l'étrange relation que le roman entretient parfois avec notre propre vie.

Mon opinion:

J'ai lu Dolce agonia pour une raison bien précise: quelques-uns des personnages suivis et entrevus dans La virevolte se retrouvent également dans ce roman. L'histoire n'est pas une suite. Dolce Agonia nous fait partager un repas de Thanksgiving vécu par les personnages. Comme si, avec ce roman, Nancy Huston avait prélevé une parcelle de vie de ses personnages pendant La virevolte, pour en faire un autre roman. Une histoire, dans l'histoire. Ce qui est terrible dans ce livre, c'est que Dieu nous parle. Et il nous raconte, avant chaque chapitre, ce qu'il adviendra des personnages, de leur vie et de sa durée, de ce qui les attendent. Alors qu'ils sont tranquillement en train de fêter Thanksgiving, une soirée qui ne plaît pas à la plupart d'entre eux, le lecteur est au courant de leur finalité. Cela crée un sentiment de fascination un peu morbide qui nous pousse à poursuivre la lecture. La narration est calquée sur ce qui se passe réellement lors d'un souper de ce genre. Un personnage parle et l'auteur nous fait part également de ce qui se passe dans la tête des autres invités au même moment. Nancy Huston dissèque l'âme humaine et fait ressortir les côtés sombres de chacun de ses personnages. Le lecteur apprend du même coup, les petits secrets peu avouables de chacun des protagonistes. Tant par la forme, l'écriture et le sujet, Dolce agonia est un roman très différent de La virevolte. C'est un roman qui m'a beaucoup plu et j'ai vraiment aimé la construction de l'histoire qui alterne entre les propos de Dieu et les chapitres qui racontent le repas de Thanksgiving. Décidément, l'écriture de Nancy Huston est envoûtante, elle fouille à sa façon l'âme humaine. Je la relirai assurément et c'est un plaisir de savoir qu'il me reste tant de romans d'elle à découvrir.

Un extrait:

En allant voir Sydney à l'hôpital la veille, il lui avait trouvé la main bizarrement flasque et le teint livide, presque gris sous les néons de sa chambre. Mais, tout en lui parlant d'une voix calme et rassurante, il n'arrêtait pas d'élaborer de nouveaux paragraphes pour sa conférence à Madison, sur la perte de plaisir qu'entraîne le gain de temps: "Dans l'Amérique contemporaine, la communication est instantannée mais elle est insignifiante", ou bien: "Plus personne ne passe la journée aux fourneaux, mais nos repas sont insipides." "Qu'avons-nous perdu? L'art de la conversation, l'art de la correspondance, l'art de préparer et de partager la nourriture... en un mot, l'art de la présence." "Bon papa, faut que j'y aille." "Vas-y fiston", avait dit Sydney d'une voix rauque, et il s'était détourné de Derek pour regarder par la fenêtre...
p.200

À noter que ce livre a remporté le Prix Odyssée en 2002.

8.5/10