Alors que la presse échange arguments, contre arguments et analyses de vidéo pour déterminer si le “Quand il y en a un, ça va. C’est quand il y en a beaucoup qu’il y a des problèmes” de Brice Hortefeux est raciste ou non - et donc s’il faut ou non accepter ses justifications vaseuses, multiples et contradictoires -, une question essentielle semble oubliée par tout le monde : comment un individu tel que lui peut-il occuper un siège de ministre dans un pays à peu près développé?
Tout au long de ces petites enquêtes, on voit en effet se développer de savants raisonnements que n’aurait pas reniés l’inspecteur Clouzot:
- Monsieur Hortefeux se tournait-il vers “notre arabe à nous” ou vers les auvergnats situés derrière lui?
- La force du vent n’a-t-elle pas déformé les propos du brave homme?
- Est-on certain que Monsieur Hortefeux ne parlait pas en fait de la doctrine pré-tridentine de la procession du père et du fils, remettant encore une fois sur le tapis le problème de la trinité, et discutant du problème de la pluralité des êtres divins (un ou plusieurs etc.)?
- N’est-ce pas un socialiste qui, après s’être plaqué une tranche de jambon à l’os sur la figure, se serait habilement fait passer pour Brice Hortefeux et aurait fait ces déclarations immondes en vue de le décrédibiliser?
Bref. Ces réflexions frappées au coin du bon sens omettent pourtant un point essentiel, que le premier macaque venu soulèverait pourtant avant tous les autres: celui qu’en bonne théorie argumentative on appelle la uita ante acta. La vie passée. Les faits qui ont précédé en somme. Seul Le Monde fait un petit topo, mais il en oublie. Beaucoup. Citons donc pour mémoire:
- la stupéfiante déclaration faite à une famille rencontrée sur une aire d’autoroute
- la bourde face à Fadela Amara.
- les injures lancées à la face du Président Obama qui montrent à tous ce que Brice Hortefeux entend par “intégration“.
- les déclarations consacrées au passé glorieux de la ville de Vichy.
Evidemment, il ne s’agit pas d’affirmer que, parce qu’il a déjà tenu des propos racistes, la déclaration pour le moins ambiguë de notre ministre de l’intérieur (on a du mal à y croire, mais si, cet homme est bien ministre de l’intérieur) doit nécessairement être interprétée dans le sens du racisme. Mais disons que le passé éclaire le présent, et que les ambiguïtés de ce type se retrouvent systématiquement chez les mêmes individus. On n’est donc pas surpris que le sort s’acharne sur le malheureux ministre, et qu’une fois encore hélas, il soit celui par qui le scandale arrive.
Ce qui étonne davantage le citoyen naïf, c’est surtout que Monsieur Hortefeux occupe encore une place dans le paysage politique. Dans un pays à l’équilibre mental plus solide que celui de notre France d’Après, il y a longtemps que les déclarations à l’emporte-pièce de notre ministre obsédé par l’identité, l’ethnie, la race, les Auvergnats et les Arabes l’auraient privé de toute responsabilité politique. Mais pas en France. Pas sous Nicolas Sarkozy.
Alors on demande sa démission. Elle a été déjà réclamée vingt fois auparavant, mais on la demande encore. Peut-être va-t-on manifester. On fait circuler et on signe des pétitions. Peut-être signerai-je moi-même. Et pourtant, cela ne sert absolument à rien: de l’énergie purement et simplement gâchée.
Car l’offensive sarkozyste a porté ses fruits et France Soir, sympathique torchon pas particulièrement critique à l’égard du gouvernement, peut affirmer sans ciller que “Brice Hortefeux clôt le débat“. La polémique est close, puisqu’on vous le dit…
Dès lors, la véritable question à poser est la suivante: comment a-t-on pu en arriver là? Comment une déclaration aussi fétide peut-elle déboucher sur cette situation ubuesque, où celui qui se trouve au coeur du débat en vient lui-même à le clore juste parce qu’il est allé mâchouiller trois dattes et déglutir un verre de lait avec une délégation de musulmans pas instrumentalisés pour deux sous un soir de ramadan? où un canard populiste dont les journalistes sont en train de muter reptiles à force de se coucher aux pieds des puissants imprime que:
La « polémique Hortefeux » n’a plus lieu d’être.
où un ancien membre du groupe d’extrême droite Occident, au demeurant ministre sans que qui que se soit n’en éprouve la moindre gêne, peut déplorer que l’on ne
puisse plus se permettre de faire des blagues ou des plaisanterie
sans que la pressse hurle au scandale et y voie un signe supplémentaire de la déliquescence du système sarkozyste?
Comment? C’est simple. Parce que Brice Hortefeux est invirable. Parce que limoger un homme tel que lui reviendrait à mettre en péril tout le système sarkozyste et la façon dont il distribue le pouvoirs à ses affidés.
Réfléchissons un instant aux qualités qui ont amené Brice Hortefeux aux trois postes ministériels que nous avons eu la malchance de le voir occuper.
Est-ce son poids politique qui lui ont fait gravir les échelons politiques jusqu’au ministère de l’intérieur? Voire. Vivant aux frais du contribuable depuis son élection au conseil régional d’Auvergne en 1992, il sera par la suite député européen, mais n’entrera jamais à l’Assemblée nationale. Des sondages particulièrement minables le feront renoncer à sa candidature aux municipales de Clermont-Ferrand. Bref, ce n’est pas sa présence éclatante sur la scène politique nationale qui lui aura permis de faire ses preuves et de se hisser à ce niveau de responsabilités.
Légitimité académique et technique? Brice Hortefeux serait-il l’un de ces grands commis de l’État que son expérience précieuse dans les coulisses de la technocratie a transformé en rouage essentiel de la République? Que nenni. Issu de Sciences-po Paris dont il n’obtint pas le diplôme - comme Notre Président -, Brice Hortefeux ne s’illustre pas par des compétences particulières ou des réalisations administratives signalées. Comme notre Président, il est un bon représentant de la médiocrité scolaire qui peuple à présent avec morgue les hautes sphères de l’Etat sarkozyen.
Légitimité tirée de son expérience de terrain? Si les coulisses du RPR et le l’UMP sont un terrain, alors…
Non, si Brice Hortefeux est là où il est, c’est précisément parce qu’il a une légitimité si légère, si imperceptible, si évanescente qu’elle proclame aux yeux de tous la puissance de la volonté sarkozyenne. Cet homme qui multiplie les déclarations imbéciles, qui fabrique des projets de loi si absurdes que même sa propre majorité est soulagée de les voir mis au rebut, qui a un CV académique et professionnel si peu étoffé qu’un malheureux de 25 ans dans le même cas ne trouverait aujourd’hui pas mieux qu’un stage à 300 € par mois à l’antenne CAF de son quartier, cet homme, braves français, braves couillons, est uniquement là parce que le Prince le veut.
Ses bourdes, son incompétence, sa bonne grosse absence de culture, sa finesse à trois tonnes, bref tout ce qui fait rougir encore plus qu’Hortefeux lui-même les citoyens sains d’esprit dès qu’ils entendent prononcer son nom sinistre, c’est cela même qui le rend indéboulonable et politiquement si précieux. Hortefeux est la poutre maîtresse du système sarkozyste précisément parce que, plus que tout autre, il est le pur produit du bon plaisir princier. Il fait briller l’espoir de la promotion et du gros gâteau joufflu dans les yeux tous les arrivistes, et pousse au dévouement absolu jusqu’au plus médiocre grenouilleur des coulisses de l’UMP. Car Hortefeux est la preuve que même les mauvais peuvent avoir leur chance pourvu qu’ils s’attirent les faveurs du patron: Hortefeux, où le passeport pour la fidélité des masses! Le jour où il dégage, c’est tout l’appareil sarkozyen qui vacille.
On peut toujours attendre…