Les investisseurs qui cherchent à investir dans les fonds ont beaucoup d’informations à leur disposition, que ce soit sur Morningstar.fr, sur les sites internet des sociétés de gestion, dans les rapports annuels ou encore dans les prospectus (disponibles sur le site de l’AMF pour les fonds domiciliés en France). Certains investisseurs sont noyés sous cette masse d’information et s’en tiennent donc à des informations basiques, telles que la performance passée ou le nombre d’étoiles, pour se faire une opinion sur un fonds. Il existe cependant bien d’autres informations très utiles pour faire le bon choix. Nous allons nous intéresser ci-dessous au taux de rotation du portefeuille, le « turnover ratio » en anglais. Cette mesure est souvent un bon indicateur du style de gestion d’un gérant et peut vous aider à déterminer s’il est fait pour vous.
Qu’est ce que le taux de rotation ?
On peut notamment trouver le taux de rotation du portefeuille d’un fonds dans la partie B dite « Statistique » de son prospectus, sous la rubrique « Informations sur les transactions ». En théorie, le « turnover ratio» cherche à mesurer le volume de transactions effectuées par le gérant sur une année. Le calcul de ce ratio, en suivant la méthode de calcul de l’AMF, est le suivant : on ajoute la valeur absolue des achats sur l’année (A) à la valeur absolue des ventes (V), puis on soustrait la valeur absolue de la collecte du fonds (C) additionnée de la décollecte (D), pour enfin diviser le tout par l’actif moyen du fonds sur l’année (AM), soit [(A+V)-(D+C)]/AM. Cette méthodologie n’est toutefois pas sans problèmes. En l’absence de flux (ni collecte, ni décollecte), ce calcul amène à doubler le « turnover » réel du fonds. Par exemple, si le gérant vend toutes les lignes du portefeuille puis les remplace, le taux de rotation sera de 200% (et non pas 100%). Enfin le calcul repose sur l’hypothèse que chaque souscription ou rachat de parts engendre une transaction (d’où la soustraction de la valeur absolue des mouvements d’argent sur le fonds). Cette hypothèse n’est pas toujours vérifiée puisque les flux peuvent s’annuler, une souscription finançant un rachat par exemple (ce qui n’engendre pas de transactions sur le portefeuille). Le gérant peut aussi utiliser à sa discrétion le cash disponible du portefeuille pour gérer ces mouvements. Par ailleurs, si les flux n’induisent pas de transaction, le « turnover » peut être négatif. Imaginons un fonds qui collecte 100 sur une année mais dont le gérant n’achète que pour 50 (laissant le solde en cash), le numérateur de notre calcul devient négatif et le ratio perd alors toute signification. Malgré ces imperfections, on peut généralement obtenir une approximation du taux de rotation réel d’un portefeuille en divisant par deux le taux de rotation calculé dans le prospectus.
Pourquoi utiliser le taux de rotation ?
Examiner le « turnover » d’un fonds est très intéressant. Par exemple, un taux de rotation de 100% (200% dans le prospectus) indique que le gérant détient en moyenne ses positions un an. Cela ne veut pas forcément dire que chaque valeur est vendue ou achetée en une année mais donne un aperçu de l’évolution du portefeuille sur la période et donc de la stratégie de gestion. Un «turnover » supérieur à 100% indique que le gérant effectue beaucoup de transactions et suit une approche plus active. Par exemple, la stratégie opportuniste d’ Orsay Développement a conduit à un taux de rotation de 436% en 2008 d’après le prospectus (et donc approximativement 218% en termes réels) parce que son gérant repositionne très fréquemment le portefeuille en fonction des conditions de marché. Le fonds Elan Midcap Euro affiche aussi un « turnover » élevé de 281%, conséquence des prises de profit régulières du gérant. A contrario un taux de rotation inférieur à 25% signifie que le gérant suit une stratégie d’investissement de long terme («buy-and-hold»). La durée moyenne des positions est de 4 ans. Magellan , qui détient certaines de ses valeurs depuis des années, a un taux de rotation de 20%. Concrètement, cela signifie que 80% du portefeuille est restée inchangée l’année passée. Il est également instructif de regarder l’évolution du « turnover » d’un fonds dans le temps afin de suivre le style de gestion d’un gérant ou la stratégie d’un nouvel arrivant. Le ratio évolue d’année en année mais s’il y a un changement drastique, par exemple de 10% à 150%, cela peut vouloir dire que le gérant a fait évoluer sa stratégie et que le fonds ne correspond peut-être plus à vos attentes. Gardons à l’esprit que les chiffres de 2007 et 2008 peuvent paraître inhabituels dans certains cas, du fait des conditions de marché pour le moins chahutées. Nombre de gérants, parmi les plus respectés, ont en effet profité des valorisations extrêmement basses pour effectuer bien plus de transactions qu’à l’accoutumée. Cela ne veut pas dire qu’ils aient changé leur stratégie d’investissement.
L’effet sur les coûts…
Enfin, et c’est sans aucun doute là un point crucial, le nombre de transactions a un impact majeur sur les frais payés par l’investisseur. Tout d’abord à chaque fois que le gérant achète ou vend une action, des frais de transaction sont payés aux courtiers par le fonds. Plus il y a de transactions, plus ces frais sont importants. Ce montant est donné dans le prospectus mais ne figure pas dans le calcul du total des frais sur encours. Mais surtout, les sociétés de gestion en France ont également la possibilité (mais pas l’obligation) de prélever en outre des commissions de mouvement, forfaitaires ou en pourcentage du montant de chaque transaction effectuée sur le portefeuille. Cette pratique va totalement à l’encontre des intérêts des investisseurs et est porteuse de potentiels conflits d’intérêts (pour plus de détails lire ici). Dans ce cas, un fort volume de transactions engendre des frais supplémentaires (à la charge des investisseurs) qui peuvent atteindre un niveau substantiel, réduisant par la même occasion les chances de surperformance d’un fonds. Par exemple, le FCP Palatine Actions Europe a eu un « turnover » de 269% en 2008. Chaque transaction sur le portefeuille a entraîné une commission de mouvement jusqu’à 1% de son montant, ajoutant au total 1,741% aux frais de gestion du fonds par ailleurs relativement raisonnables (1,174%). Au total, les investisseurs ont payés 2,915% de frais l’année dernière, soit bien plus que la médiane des frais pratiqués dans cette catégorie (1,66%). Un « turnover » très élevé est donc rarement une bonne nouvelle pour l’investisseur. Certes, il existe des gérants qui effectuent beaucoup de transactions sur le portefeuille et qui arrive à maintenir une bonne performance, comme par exemple le fonds Elan MidCap Euro que nous avons évoqué plus haut. Néanmoins sur le long terme, ces fonds ont un handicap face à leurs concurrents, qui est d’autant plus lourd lorsqu’ils prélèvent des commissions de mouvement.
(Mathieu Caquineau - Morningstar - 16/09/2009)