On s'est juste embrassés
Isabelle Pandazopoulos
« J'ai compté sur mes doigts le nombre de gens qui passaient dans ma vie pour disparaître après. Et je me suis endormie, le poing contre la bouche. Chaque doigt de ma main, c'était quelqu'un. Je les gardais avec moi. »
Aïcha, 15 ans, vit seule avec sa mère depuis que son père est parti sans laisser d'adresse. Elle est française mais pas tout à fait car elle est officiellement nommée « française issue de l'immigration » en raison de ses grands-parents nés en Algérie. Aïcha est très seule. Elle aimerait connaître le passé et la famille de sa mère mais celle-ci refuse de l'évoquer. Trop de souffrances. Seule sa meilleure amie représente une ancre dans cette cité, ce microcosme avec ses codes bien précis. Aïcha pourrait être amoureuse. Ce sentiment, elle va le payer cher. Exclue, bannie, rejetée, humiliée, elle suivra une toute autre route qui l'emmènera à l'inattendu.
J'ai eu ce livre à plusieurs reprises dans mes mains. Je l'ai à chaque fois reposé en raison du titre qui m'a fait pensé à une histoire d'amour pour ados et de la couverture triste, anodine. Un autre jour, j'ai lu la quatrième de couverture. Autant pour moi ! Une fille dans la cité. J'en ai lu des lectures misérabilistes sur le sujet qui sont tombées dans le piège du pathos.
Puis, lors de mon dernier passage à la bibliothèque, je l'ai vu. Encore ce livre ! Mais qu'est-ce qu'il me veut ? J'ai lu le profil d'Isabelle Pandazopoulos. « Professeur de lettres, elle a toujours enseigné dans des zones dites difficiles ». Mmmm... voilà quelqu'un qui sait de quoi elle parle. De plus, j'aime beaucoup le « dites difficiles ».
Résultat : une très belle lecture, pour ados, pour adultes, qui décrit l'ennui de l'adolescence, les premiers émois, la difficulté de la relation mère-fille, le besoin de reconnaissance, la recherche de son identité, la loi inflexible du patriarcat, les blessures de l'âme. C'est juste, triste mais non dénué d'espoir. Une plume à suivre !
Un extrait qui devrait vous parler...
« Ma mère détestait me voir lire, alors j’évitais qu’elle le sache. C’était comme une maladie honteuse, comme le plaisir que l’on se donne à soi-même, ou les larmes, je faisais ça en cachette. Je lis comme ça vient, tout ce qui me tombe sous la main, je ne pourrais même pas dire comment les livres et moi, on se rencontre. (...) Là-bas, dans cette bibliothèque, le silence a un sens, les mots inscrits sur les pages te conduisent quelque part, il suffit d'y croire et de se laisser porter. J'en choisis quatre ou cinq et puis je vais me blottir dans un coin, toujours le même, je les mets autour de moi, je les feuillette, je les referme, je les renifle, j'ouvre à n'importe quelle page, je m'arrête, je reprends plus loin ou j'en commence un autre et puis il y en a un qui mm'emmporte, je ne saurais pas dire comment, juste je le dévore du début à la fin, il m'accompagne un petit moment partout où je vais, j'ai même l'impression qu'il me protège, je sais c'est bête, j'ai un peu honte, mais ce temps-là, le temps d'un livre, moi aussi je disparais et c'est comme si de l'autre côté, sur l'autre rive, c'est moi qu'on attendait. »
Gallimard-Jeunesse, Scripto, 157 pages, 2009
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