Les marchés actions sont au plus haut depuis des mois, faut-il croire leur optimisme ? N’oublions jamais qu’ils sont la chambre d’écho des réalités économiques – donc ils amplifient les tendances.
• Leur premier message est positif : la Grande Dépression est évitée et les diverses mesures des États sur les taux, la relance budgétaire, les filets sociaux, la coopération internationale ont fonctionné – évitant un nouveau 1929.
• Leur second message est positif : la crise financière systémique due à la méfiance des banques à se prêter entre elles et à prêter à l’économie est révolue, les titres financiers ont été la meilleure performance des indices sur un an.
Tout le monde a donc l’air d’accord, jusqu’à la Fed qui, dans son message de mi-août, note pour la première fois depuis plus d’un an que « l’activité économique se stabilise ». La Commission européenne et l’OCDE ne sont pas en reste quelques semaines plus tard, s’attendant à une reprise du PIB en zone euro au 3e trimestre. Mais l’on sait bien que tout consensus présente le danger de se voir contrer – ce qui se traduit par un renversement brutal des marchés, puisque ceux-ci sont toujours un écho amplifié du réel.
Nous l’avions écrit : reprise de mars à juillet au moins. Les bonnes nouvelles se répandant par grappes, le rebond se prolonge. N’oublions pas la psychologie et la saisonnalité qu’elle induit : la fin d’année approche et la tentation de consolider les bonnes performances acquises depuis le printemps devient de plus en plus forte pour les gérants d’OPCVM, de fonds de pension et de hedge funds. Il faut faire oublier le désastre 2008 ! Il n’y aurait donc rien d’étonnant à ce que la bourse digère la hausse, d’octobre à décembre, ne reprenant éventuellement que sur les anticipations des ventes de fin d’année ou de résultats des entreprises au 31 décembre.
Quelles seraient les raisons de cette envie de souffler ?
• Les taux maintenus durablement très bas par les Banques centrales, signe que tout n’est pas terminé et crainte que les dettes d’aujourd’hui ne soient refinancées plus difficilement lorsque les taux remonteront.
• Les ajustements de coûts des entreprises ne sont pas achevés, tant la demande a chuté. Le déstockage fait une pause (et un certain restockage explique le faible rebond des PIB), mais les licenciements dans les grandes maisons comme les faillites des sous-traitants et PME ne sont pas taries.
• Les exportations vers les pays émergents reprennent, mais la Chine a plutôt accentué ses déséquilibres. Sa propension jacobine à nourrir la croissance par l’injection de capitaux publics, émis par des banques d’État fragilisées par des créances douteuses, conduit à des surcapacités industrielles pour des biens de moins en moins exportables, comme à une spéculation sur les actions et sur l’immobilier par excès de liquidités mal orientées. Seul le marché peut réguler la création de monnaie par la demande d’investissement, liée elle-même à la demande de consommation et aux filets de protection sociale. Or les Chinois sont bien mal lotis, leur État productiviste se préoccupe peu du social et les ménages doivent épargner pour les cas de chômage, maladie ou retraite. Cette épargne n’est pas consommée mais va amplifier la spéculation.
• Le reste des pays émergents va mieux, mais renchérit le prix mondial de l’énergie et des matières premières, et pèse sur les coûts des entreprises des pays développés.
• Certes, les résultats des entreprises américaines à fin juin ont été meilleurs qu’attendus par les analystes, d’où l’euphorie boursière, mais en nette baisse par rapport à il y a un an ! Pourront-ils s’améliorer encore, après avoir déjà joué sur les stocks et les emplois ? Les chiffres d’affaires restent en baisse en raison du chômage croissant qui ne devrait s’inverser qu’en 2011, de la nouvelle propension américaine à épargner (5% au lieu de zéro), du crédit restreint, des hausses salariales nulles, de la faiblesse de l’immobilier – et des probables hausses d’impôts qui vont avoir lieu les années futures dans tous les pays développés. La faiblesse de la demande va contraindre les prix, donc les bénéfices.
• Car la dette reste la question majeure des prochaines années.
o Dette des entreprises auprès des banques, dont les fonds propres ont fondu durant la période de crédit restreint et qui pourraient entraîner un taux de défaut plus fort (les LBO, ces reprises d’entreprises financées par la dette, risquent d’être très touchés).
o Dettes des banques envers les États qui les ont recapitalisées, ce qui améliore leur refinancement mais coûte à court terme puisqu’il faut verser une forte rémunération aux États.
o Dette des États enfin, dans un contexte inouï de taux au plus bas et de déficits record ! Qu’en sera-t-il du remboursement lorsqu’il faudra le refinancer avec des taux plus élevés en raison de la reprise, tout en constatant que les impôts rentrent moins pour cause d’inertie du chômage et de mentalité devenue plus économe des ménages comme des entreprises ?
Le rebond boursier était justifié mais il est fragile ; la reprise économique est une reprise de statisticiens, elle ne se traduit dans le concret ni pour les ménages, ni pour les entreprises, ni pour les États. Seules les banques s’en sortent… parce qu’elles ont spéculé avec succès sur fonds propres, comme avant. Le prochain G20 y mettra-t-il fin par de nouvelles régulations sur les fonds propres ?
La sortie de crise sera très graduelle et aura changé les comportements. Les risques en provenance de la Chine intérieure, du rééquilibrage financier États-Unis/Chine et de la faiblesse du dollar sont patents. Sans ajouter les conséquences d’une pandémie de grippe A – surtout psychologiques – et les menaces géopolitiques de l’Iran et du Pakistan/Afghanistan.
Attendons-nous à ce que la bourse fasse du stop and go, comme d’habitude, en bonne chambre d’échos. Premier stop en octobre ? Notre conseil est de prendre ses bénéfices partiellement sur les actions en attendant la fin d’année, et de recentrer la répartition sectorielle sur le neutre, en sous-pondérant à court terme les financières et les cycliques.