L’avocat aux Conseils des ministres a annoncé la décision d’abrogation dès l’entame de l’audience devant le juge des référés du Conseil d’Etat opposant ce Mercredi 16 septembre l’Anafé aux ministres de l’Immigration et de l’Intérieur tendant à la suspension de la note de la DCPAF du 25 mai 2009.
Dans les prochains jours de nouvelles instructions ministérielles devraient être signées. Il a indiqué que la circulaire indiquerait que toutes les documents provisoires (récépissés et APS) - sauf de première demande et pour l’asile permettraient de rentrer en France.
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Même s’il contestait l’urgence à suspendre, l’avocat aux Conseils a concédé qu’il existait un “doute sérieux sur sa légalité” de la note sur ce point - donnant ainsi partiellement raison à l’interprétation défendue par l’Anafé dans sa requête déposée le 23 juillet 2009.
Rappelons que concrètement des étrangers en situation régulière, titulaires d’un récépissé de première demande de titre de séjour ou d’une autorisation provisoire de séjour au titre de l’asile, se voient opposer, en application de cette note du 25 juin 2009, un refus d’embarquement (par les compagnies aériennes dans les pays de provenance) ou un refus d’entrée sur le territoire français (par la Police de l’air et des frontières à leur arrivée en France) et sont placés en zone d’attente avant d’être refoulés - à moins d’être libérés par un juge des libertés et de la détention ou par l’annulation du refus par un tribunal administratif.
A défaut de telles décisions judiciaires favorables, ils sont contraints de retourner dans le pays de provenance ou d’origine pour solliciter un visa de retour - qu’ils ne sont pas sûr d’obtenir du consulat. S’ils l’obtiennent et reviennent après l’expiration du récépissé ou de l’APS ils seront en situation irrégulière et devront solliciter, avec un fort risque de refus, une nouvelle admission - exceptionnelle - au séjour.
L’avocat aux Conseils a affirmé qu’il lui apparaissait cohérent que les étrangers présentant un récépissé ou une APS au consulat obtiennent un visa de retour. Mais dans la réalité, c’est loin d’être garanti.
L’Anafé a suivi le cas de plusieurs étrangers gravement malades ou des conjoints de Français dans cette situation qui ne parvenaient pas à obtenir le visa de retour avant l’expiration du récépissé ou de l’APS.
Dans plusieurs dossiers il a été nécessaire de saisir le Conseil d’Etat en référé-liberté - ce qui a systématiquement amené le ministère a délivré le visa avant l’audience pour obtenir un non-lieu.
- L’audience
L’audience de référé s’est déroulée dans la salle du contentieux - là même où ont été rendus bien des arrêts “Gisti”, dont les 2 grands arrêts de 1978 et 1990 ou encore les grands arrêts de “Canal” à “Arcelor atlantique” en passant par “Nicolo”.
Les représentants de l’Anafé -Jean-Eric Malabre, Laure Blondel et moi-même - se trouvaient à la place des membres de la formation de jugement (sur la gauche sur la photo, vu du public), ceux du ministère (8 personnes! des deux ministères et de la DCPAF) à celle des rapporteurs publics (sur la droite) et le président à la place de… Frédéric Rolin du secrétaire de la section du contentieux (au milieu en bas).
Il avait déjà officié en juillet lors d’une audience d’appel d’une ordonnance du TA de Cergy “Bouyagui S.“ posant la même question juridique. Mais il avait alors “botté en touche” en censurant l’ordonnance sur un autre motif comme nous l’avions évoqué à la fin de ce billet (”C’est triste la zone d’attente d’Orly, un Mercredi, avec ou sans Besson”, CPDH, 22 juin 2009).
Le président adjoint était arrivé avec 8 questions précises à régler à l’audience afin de déterminer s’il devait suspendre - ou non - la note du 25 mai 2009.
1. La première était une question de compétence du signataire de la note - un directeur adjoint à la direction centrale de la police aux frontières au nom du ministre et pa obligation du directeur central. Il tenait sa compétence du décret n°2005-850 du 27 juillet 2005 relatif aux délégations de signature des membres du Gouvernement .
Manifestement ce moyen posait des difficultés sérieuses aux ministères en raison d’un problème de publication au JORF de l’acte le nommant dans ses fonctions à la DCPAF.
L’Anafé avait soulevé le moyen d’incompétence. Mais du reste il s’agit d’un moyen d’ordre public.
2. D’entrée de jeu, l’avocat du ministère a reconnu que la note ministérielle était entachée d’illégalité et retenait des interprétations contestables et qu’il avait conseillé à “son client” - l’Etat - d’abroger ce texte et de prendre une nouvelle circulaire davantage conforme à la légalité (c’est-à-dire en l’espèce au Code frontière Schengen).
Les nombreux représentants des ministères avaient par devers eux un projet de circulaire - n’ayant pas encore fait l’objet de tous les arbitrages nécessaires - mais qui devrait dans les jours à venir être soumis à signature des ministres compétents ou de leurs délégataires.
Le président Martin a donné quelques jours aux ministères pour produire la nouvelle circulaire avant de rendre son ordonnance - probablement en milieu de semaine prochaine.
On peut faire confiance en Eric Besson - ou son directeur de cabinet - pour signer ce week-end la nouvelle circulaire - après tout il a une certaine habitude de signer le Dimanche pour échapper à une censure juridictionnelle. … Il n’aura pas de mal à convaincre l’ancien titulaire de son poste, Brice Hortefeux, à de faire de même.
Le président Martin a refusé de rendre immédiatement son ordonnance afin de donner l’interprétation exacte des textes, afin de s’assurer que la future circulaire ministérielle ne serait pas de nouveau illégale, estimant inutile de suspendre une circulaire allant être abrogée peu après. Pourtant le président Genevois n’avait pas hésité, dans l’ordonnance Hyacinthe du 12 janvier 2001, à rendre une décision de principe tout en prononçant un non lieu à statuer.
Il a néanmoins estimé que l’instance pourrait se poursuivre - même en cas d’abrogation - si l’Anafé estimait que la nouvelle instruction ministérielle n’est pas davantage conforme à la légalité. On peut en effet estimer que par l’abrogation en cours d’instance de la note critiquée et sa reprise partielle dans de nouvelles instructions le litige n’est pas éteint
(voir par exemple cet arrêt Gisti du 24 janvier 2007 “Considérant que, dans le cas où le refus opposé à une demande d’abrogation d’un acte fait l’objet d’un recours pour excès de pouvoir et que l’administration procède, avant que le juge n’ait statué, à l’abrogation demandée, celle-ci, lorsqu’elle devient définitive, emporte des effets identiques à ceux qu’aurait eu l’annulation par le juge du refus initial ; que dès lors, il n’y a pas lieu pour celui-ci de statuer sur le mérite du pourvoi dont il était saisi alors même que l’acte abrogé aurait reçu exécution pendant la période où il était en vigueur”).
- Reculer pour mieux…
1. Ce recul ne résout néanmoins pas tout. En effet, l’audience - c’est-à-dire concrètement 7 questions posées par Philippe Martin - a été consacrée à décortiquer le Code frontière Schengen et divers textes non normatifs subséquents afin de déterminer quelle interprétation il fallait donner aux articles 13 combinés avec 5§1, 5§4 et 2§15 ainsi que 37.
Je vais vous l’épargner car c’est à peine plus simple que de trouver une disposition donnant l’absolution électromagnétique aux disciples de Ron Hubbard dans un texte de loi visant à la simplification du droit.
Article 13
Refus d’entrée
1. L’entrée sur le territoire des États membres est refusée au ressortissant de pays tiers qui ne remplit pas l’ensemble des conditions d’entrée, telles qu’énoncées à l’article 5, paragraphe 1, et qui n’appartient pas à l’une des catégories de personnes visées à l’article 5, paragraphe 4. Cette disposition est sans préjudice de l’application des dispositions particulières relatives au droit d’asile et à la protection internationale ou à la délivrance de visas de long séjour.
Article 5
Conditions d’entrée pour les ressortissants de pays tiers
1. Pour un séjour n’excédant pas trois mois sur une période de six mois, les conditions d’entrée pour les ressortissants de pays tiers sont les suivantes:
a) être en possession d’un document ou de documents de voyage en cours de validité permettant le franchissement de la frontière;
b) être en possession d’un visa en cours de validité si celui-ci est requis en vertu du règlement (CE) no 539/2001 du Conseil du 15 mars 2001 fixant la liste des pays tiers dont les ressortissants sont soumis à l’obligation de visa pour franchir les frontières extérieures des États membres et la liste de ceux dont les ressortissants sont exemptés de cette obligation [17], sauf s’ils sont titulaires d’un titre de séjour en cours de validité;
c) justifier l’objet et les conditions du séjour envisagé, et disposer des moyens de subsistance suffisants, tant pour la durée du séjour envisagé que pour le retour dans le pays d’origine ou le transit vers un pays tiers dans lequel leur admission est garantie, ou être en mesure d’acquérir légalement ces moyens;
(…)4. Par dérogation au paragraphe 1,
a) les ressortissants de pays tiers qui ne remplissent pas toutes les conditions visées au paragraphe 1, mais qui sont titulaires d’un titre de séjour ou d’un visa de retour délivré par l’un des États membres ou, lorsque cela est requis, de ces deux documents, se voient autorisés à entrer aux fins de transit sur le territoire des autres États membres afin de pouvoir atteindre le territoire de l’État membre qui a délivré le titre de séjour ou le visa de retour, sauf s’ils figurent sur la liste nationale de signalements de l’État membre aux frontières extérieures duquel ils se présentent et si ce signalement est assorti d’instructions quant à l’interdiction d’entrée ou de transit;
Article 34
Communications
1. Les États membres communiquent à la Commission:
a) la liste des titres de séjour;
(…)
2. Se posait également un problème de sécurité juridique.
Le président a insisté sur le paradoxe à avoir suspendu dans une note du 16 janvier 2007 l’application de l’article 5§1 CFS de mars 2006 tel qu’interprété par le service juridique de la commission européenne et d’avoir laissé la situation en l’état pendant plus de deux ans puis, tout à coup, en juin 2009 d’avoir réactivé l’interprétation initiale du règlement sans aucune mesure transitoire ni d’information auprès des préfectures, des consulats et surtout des populations concernées (par exemple par une mention sur le récépissé de première demande selon lequel “il n’autorise pas sans titulaire à revenir sur le territoire français“)
Et pourtant la France avait obtenu des éclaircissements à ses demandes d’interprétation dès le 27 mars… 2007 (doc. n°7599/1/07 REV 1 Conseil de l’Union européenne).
Le ministère a concédé que son changement subit d’inteprétation était lié à un contrôle de la Commission aux frontières maritimes françaises. Souhaitant se présenter comme un “bon élève” du Code frontière Schengen, la France a décidé de régler ce problème d’interprétation.
L’avocat justifiait d’ailleurs aussi le rejet du référé au titre de l’urgence avec le même argument, compte tenu de l’intérêt public à être… un bon élève de l’Europe de Schengen.
Il annonçait aussi qu’une circulaire du ministre de l’Immigration de juillet 2009 - qui n’a pas davantage fait l’objet de mesure de publicité - informait les préfectures de ces évolutions.
Le recours de l’Anafé n’aura donc pas été totalement inutile.
En attendant des milliers d’étrangers en situation régulière ont fait l’objet de décisions de refus d’embarquement ou de refus d’entrée en raison de l’application d’une interprétation absurde du Code frontière Schengen 3 ans après la publication du règlement communautaire et sans aucune information à leur destination sur ce changement d’interprétation au mépris du principe de sécurité juridique.
Cette circulaire ministérielle n’a d’ailleurs fait l’objet d’aucune publication - et évidemment pas sur le site circulaire.gouv.fr (ou plutôt le fiasco électronique.fr) - et était donc inopposable aux administrés en application du décret du 8 décembre 2008.
Enfin, l’inteprétation défendue par le ministère ou celle plus subtile qu’a esquissée le président Martin au cours de l’audience du Code frontière Schengen ne sont pas conformes au principe de liberté de circulation garanti par la Déclaration des droits de l’homme et par la Convention européenne des droits de l’homme et le Pacte international sur les droits civils et politiques. Il appartiendra donc au Conseil d’Etat d’interpréter le règlement communautaire en conformité avec ce principe de valeur constitutionnelle ou, éventuellement, avec les droits fondamentaux garantis par les principes généraux du droit communautaire inspirés par ces normes internationales et la tradition constitutionnelle commun des Etats membres. Pour cela, il sera nécessaire, conformément à la jurisprudence Arcelor Atlantique, de saisir la CJCE d’une question préjudicielle.
La suite la semaine prochaine…