Magazine Culture
UNE ENQUÊTE AU PAYS
Mon premier détour littéraire par le Maroc grâce à ce polar dépaysant!
Au départ, j'ai cru me retrouver plongée dans une des aventures de Chick Bill (on a les références qu'on a ), avec l'inspecteur Ali dans le rôle de Kid Ordinn, shérif adjoint et accessoirement sous-fifre, et le chef dans le rôle du shérif Dog Bull. L'humour et les pitreries d'Ali, de même que les vaines colères de son chef n'étaient pas sans me rappeler les personnages de cette BD. C'était parfois très drôle, parfois lourd, Ali étant un petit peu pénible par moment et pas toujours amusant (comme les personnes qui en font trop), quoique au fur et à mesure de la lecture, j'ai fini par me faire au style de l'auteur et à m'attacher aux personnages.
J'ai particulièrement adoré le début avec la première confrontation et le dialogue de sourds entre Raho, l'homme de la montagne, et nos deux citadins, la mise en scène était cocasse à souhait et excellemment dépeinte, très visuelle, j'avais l'impression d'être sur place, en témoin des événements.
Toute l'intrigue se déroule sur ce mode, confrontant deux univers différents, les montagnards et les gens de la ville, traditions et modernité, le Moyen-Âge et le XXè siècle en somme, comme le clament d'ailleurs les protagonistes. L'objet de l'enquête elle-même tarde à se révéler et l'intrigue ne se déroule du coup pas comme un polar classique, l'enquête étant secondaire, un prétexte surtout à parler du choc des cultures au sein d'un même pays et d'un même peuple, l'Histoire expliquant comment les choses en sont arrivées là.
Un exemple de dialogue:
"- C'est pas ça, dit l'inspecteur avec patience. Ecoute voir: dans les villes les gens ont toute sorte de papiers plein leurs poches.
- On n'est pas à la ville, mon gars.
- Je vais t'expliquer. Donne-moi la main, mon vieux. C'est des papiers et aussi des cartes qu'ils ont, tu comprends?
- Non, dit le paysan. Tes paroles n'arrivent pas jusqu'à ma tête.
- Je vais t'expliquer, répéta l'inspecteur, tenace. Il y en a des roses, des bleus, de toutes les couleurs. Il y en a pour conduire une automobile, deux: une carte grise pour avoir cette automobile, et une rose pour la mettre en route. C'est simple.
- Je n'ai pas d'automobile, dis donc! Il y a juste une mule et un bourricot par là, va voir. Et essaie donc de leur présenter du papier pour les faire bouger! Tu es un rigolo, toi."
J'ai trouvé ce roman culturellement très intéressant du coup, instructif, l'auteur masque bien la tragédie de la réalité sociale de son pays par l'humour. J'avais l'impression toutefois qu'il insistait un peu trop sur ces points et sur les différences entre les deux univers en les pointant exagérément du doigt et en les ressassant comme si ce n'était pas bien clair. Il en ressort un effet de moquerie un peu cruelle parfois j'ai trouvé, la façon dont les personnages parlent français par exemple, même si cela est amené avec dérision. Le chef me faisait bien rire n'empêche. L'auteur a réussi à vraiment bien saisir l'essence du parvenu social.
J'ai bien aimé la toute fin également, très drôle ce revirement de situation!
Je ne m'attendais pas du tout, en abordant ce livre, à un auteur aussi loufoque et farceur, pour preuve ses NdA en bas de pages ou la pseudo-lettre signée "l'inspecteur Ali" dans laquelle il se moque de lui-même. Belle surprise donc!
Je pense continuer - oooh, probablement pas de si tôt mais bon - ma découverte de cette série, notamment avec L'inspecteur Ali, celui que j'ai failli choisir pour ce défi, le choc des cultures Ecosse/Maroc me semblant très prometteur!
L'auteur
Driss Chraïbi (15 juillet 1926 - 1er avril 2007) est un auteur marocain de langue française. Il a également fait des émissions radiophoniques pour France Culture. Driss Chraïbi est un écrivain qui est trop souvent réduit à son oeuvre majeure Le Passé Simple, et à une seule analyse de ce livre : révolte contre le père sur fond d'autobiographie. Or, Driss Chraïbi aborde bien d'autres thèmes au cours d'une œuvre qui n'a cessé de se renouveler : colonialisme, racisme, condition de la femme, société de consommation, Islam, Al Andalus, Tiers-Monde.
Lu dans le cadre du deuxième tour du défi
(DAL 2 - 5 / reste 02 )