Embarquement immédiat pour l’une des expériences de science-fiction les plus impressionnantes de la dernière décennie. “District 9″ concilie la confiance d’un grand producteur (Peter Jackson) et le savoir-faire d’un jeune cinéaste prometteur (Neill Blomkamp). Le résultat est pour le moins étonnant : le film s’inscrit dans la tradition du genre autant qu’il le renouvelle. Entre rupture et continuité, une véritable surprise. Vous ne verrez jamais plus les aliens de la même façon.
Difficile d’évoquer “District 9″ sans trop en révéler. Refusant la débauche d’effets spéciaux, le film doit surtout sa réussite à son scénario. Les premières scènes nous projettent dans une uchronie (réécriture de l’Histoire passée) des plus savoureuses pour mieux s’ancrer dans un réalisme saisissant, tout en brisant rapidement de nombreuses conventions du film d’aliens depuis la guerre froide. Plus proches du sympathique “E.T.” que des envahisseurs de “Mars Attacks !”, les “crevettes” ne font l’objet d’aucun suspense. Débarquées malgré elles sur notre planète, elles se retrouvent d’emblée au cœur d’une métaphore efficace. “District 9″ n’est ni un film sur l’humain, ni un film sur l’extra-terrestre, mais avant tout une œuvre politique sur la cohabitation entre deux Êtres que tout sépare, entre deux mondes que tout semble opposer. Ce questionnement sur notre rapport à l’altérité et le réflexe sécuritaire est d’autant plus efficace que l’action se situe en Afrique du sud : sans vouloir refléter intentionnellement les problèmes du pays, le réalisateur insère son film dans une problématique tiers-mondiste évidente. Plus que jamais, la science-fiction parle du présent sans fard. Le contexte même de l’action - le paysage urbain de Johannesburg - justifie à lui seul l’aspect crade, brutal et cru de l’image, aux antipodes du blockbuster léché et calibré.
A partir d’un scénario particulièrement habile, Neill Blomkamp alterne plusieurs modes de narration. Si la caméra embarquée rappelle l’expérience “Cloverfield”, la démarche est en réalité beaucoup plus audacieuse. Ponctué de fausses interviews de témoins racontant rétrospectivement le déroulement des faits, le film se divise grosso modo en deux parties. Tandis que la réflexion politique laisse peu à peu place à un spectacle bourrin davantage digne d’une série B, la réalisation formelle glisse de son côté d’une caméra embarquée subjective (type “Blair Witch”) à une caméra à l’épaule objective reflétant le point de vue extérieur du cinéaste (Steven Spielberg en était l’un des précurseurs en 1998 avec “Il faut sauver le soldat Ryan”, dans la séquence du débarquement allié). La transition s’effectue avec un naturel désarmant, preuve du grand talent de Blomkamp pour donner une expression formelle originale au scénario qu’il a écrit.
La démarche profondément novatrice de “District 9″ s’appuie malgré tout sur de longues décennies de cinéma hollywoodien. Conjuguant l’intime et l’universel, la mise en scène rappelle sur certains aspects Spielberg et son “E.T.” lorsque la force émotionnelle naît non pas du sort des humains mais de celui des extra-terrestres. De même, l’univers de Cronenberg n’est jamais loin : la métamorphose conjuguée à une histoire d’amour (fil rouge du scénario) évoque sans aucun doute “La Mouche”. Mais si les références abondent, elles ne versent jamais dans l’hommage dérisoire : le film fera probablement date dans sa capacité à innover tout en synthétisant codes et thématiques propres au cinéma de science-fiction - blockbusters comme séries B.
Cette première œuvre laisse donc augurer du meilleur dans la carrière de Neill Blomkamp. Véritable geek dans l’âme, celui-ci n’hésite pas à cumuler les niveaux de lecture et s’autorise une grande liberté de ton. Spectaculaire, intelligent, souvent drôle et parfois émouvant, “District 9″ fait montre d’une maîtrise de style assez stupéfiante. Seule la dernière demi-heure, réduite à un gunfight sans grand intérêt, déçoit un peu. Mais elle n’est définitivement pas grand chose face aux autres qualités du film. L’ensemble sombrerait rapidement dans une débauche indigeste de références et d’expérimentations s’il ne se retrouvait pas entre les mains d’un réalisateur que l’on imagine déjà au panthéon des futurs grands cinéastes.
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