L’éternel débat sur la mondialisation de l’économie a trop souvent occulté ce qu’était « aussi» la mondialisation, à savoir la transformation de notre planète en un gigantesque village planétaire pour reprendre l’expression de Mac Luhan dans son ouvrage The Medium is the Message. Si le philosophe-sociologue américain insiste dans son essai sur l’unicité d’espace et de temps dans laquelle nous vivons aujourd’hui ainsi que sur la culture mondiale, on pourrait prolonger son analyse sur le terrain de la santé. Ce « village monde » où les distances ont été considérablement raccourcies donne tout son sens à la mondialisation des risques en général et des risques sanitaires en particulier.
Partie de Mexico, la grippe espagnole est devenue A de type H1N1 partout dans le monde au cours de l’été. Aux dires des spécialistes, jamais une maladie infectieuse ne s’était propagée aussi vite, si bien qu’elle est sans doute la première crise sanitaire mondialisée (repérée dans 125 pays à ce jour) que l’on ait pu « suivre » en temps réel grâce aux systèmes de télécommunications eux aussi globalisés. La pandémie, dénomination donnée le 11 juin 2009 par l’OMS, a touché une grande majorité des pays mais les populations et leurs gouvernements n’ont pas tous adopté le même mode de fonctionnement face à cette menace.
Une pandémie, des réactions
La population mondiale n’a pas témoigné une inquiétude particulière comme le démontre le sondage réalisé par l’institut Win qui affirme qu’ils n’etaient que 28% à se déclarer « personnellement concernés » par la grippe le 18 juillet dernier. Pourtant, après un mois de pandémie on notait déjà de forts clivages selon les pays : 3% des personnes se déclarant inquiètes en Autriche, 14% en Allemagne, 40% en France, 41% en Argentine et même 59% en Bolivie.
Ces premiers chiffres démontrent que si la proximité avec l’épicentre de la grippe impacte le sentiment d’inquiétude, certaines populations, en particulier françaises, se distinguaient déjà par un niveau d’inquiétude remarquable. Dans le détail, ce sont les Françaises (45% contre 35% pour les Français) qui se montraient les plus inquiètes face à ce virus ; un chiffre qui s’explique sans doute par les risques qu’il existe pour les femmes enceintes et les jeunes enfants.
Le cas français
Dans le domaine de la santé plus que dans tout autre, chaque pays vie avec un patrimoine génétique et épidémique propre. En d’autres termes, la grippe H1N1 qui s’est déclarée au mois de mai en France s’inscrit dans notre « mémoire sanitaire » aux côtés des alertes précédentes, à savoir la grippe aviaire versions 2005 puis 2006 et la canicule de 2003. Ces souvenirs ont fortement impacté le ressenti de la population, le traitement médiatique de l’information et enfin la réaction des autorités sanitaires.
Lors de l’épisode caniculaire de l’été 2003, 65% des Français se déclaraient suffisamment informés concernant les mesures à prendre tandis que lors de la crise de la grippe aviaire, 64% de la population soutenait ne pas bénéficier des informations nécessaires concernant les mesures prises par les autorités sanitaires. On ajoutera qu’en 2006 près d’un Français sur deux s’estimait inquiets selon le même sondage Ipsos réalisé pour le magazine Top Santé.
Ces épisodes sont porteurs d’enseignements et démontrent comment un sentiment d’inquiétude moyen (49% en 2006) additionné à un manque cruel d’information (64%) peut conduire à augmenter sensiblement le sentiment d’inquiétude dans un contexte de crise sanitaire mondiale avérée quelques années plus tard : 40% dès le mois de juillet 2009 soit 13 points de plus que la population mondiale.
Selon l’Ifop, le niveau d’inquiétude est relativement proche de ce que l’on a connu en 2005 et en 2006 pour les deux épisodes précédents de la grippe aviaire (respectivement 35%, 35% et 32% en 2005). Selon les experts, nous sommes à environ deux mois du pic épidémique qui pourrait se produire entre fin octobre et fin novembre selon la mutation du virus dans l’hémisphère Sud. Aussi, ce chiffre porte en lui les ressorts d’un sentiment d’inquiétude bien plus important à mesure que la situation et le nombre de cas vont s’aggraver. Au-delà du débat sur la létalité du virus, ce qui est important de noter c’est la réaction de la population avec en parallèle la mobilisation du gouvernement.
Un pays déjà prêt à faire face
Paradoxalement, les Français se distinguent également par la confiance qu’ils font aux autorités sanitaires et au gouvernement. Selon l’enquête conduite par l’Ifop, 63% des personnes interrogées déclarent que la préparation de leur pays est satisfaisante pour faire face à la pandémie ; un score qui outrepasse la moyenne mondiale de 20 points. Ce chiffre démontre au moins que l’abattage médiatique qui relate la mobilisation du gouvernement et des autorités sanitaires contribue à rassurer la population.
On note pourtant que la population française se démarque de l’ensemble de celles des autres pays (excepté la Chine et ce n’est pas un compliment en termes de sondages) en se déclarant inquiète bien que confiante. La conséquence directe de cet état d’esprit c’est la volonté d’une majorité des Français de vouloir se faire vacciner (55% dont 29% de certain) dès que le vaccin sera disponible selon l’Ifop.
La stratégie du gouvernement qui visait à prendre très tôt et très au sérieux la grippe H1N1 a donc eu une double conséquence. Tout d’abord elle a sensibilisé avec un grand renfort médiatique la population sur le risque existant mais dans le même temps elle a pris les devants en mobilisant laboratoires, ministères et autorités sanitaires. Pour le gouvernement, l’enjeu des prochaines semaines sera de démontrer qu’il a été en avance et qu’aujourd’hui le dispositif d’alerte est en place… En deux mots, démontrer que c’est bien en France que l’on possède le meilleur système de soins existant.
En période de crise latente, tout événement pouvant détourner l’attention est bon à prendre selon l’opposition (80% des Français estiment avoir parlé de la grippe lors de leurs discussions avec des proches selon l’étude Ifop du mois de juillet sur les conversations des Français). Pourtant, la réalité est sans doute différente car il est vraisemblable que ce soit l’économie qui bénéficie le plus de cette crise sanitaire. En effet, à d’autres époques, la guerre était un accélérateur, un dynamiteur de PIB au service des états-nations… Et si aujourd’hui la santé permettait aux économies occidentales de relever la tête. Bref, si la crise sanitaire naissante nous sortait de la crise économique ?