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Contemporanéité sicilienne ?

Publié le 15 septembre 2009 par Marc Lenot

La Sicile n’est pas exactement un des lieux phares de l’art contemporain, loin des grands courants, endroit un peu à l’écart, et l’exposition des collections du Musée Riso à Palerme, titrée “Passaggi in Sicilia” (jusqu’au 4 octobre) en fait l’aveu de manière assez apologétique. Laissant de côté les explications historiques du catalogue, j’ai été assez frappé, dans cette exposition, par le nombre d’oeuvres prétextes, oeuvres de visiteurs passant par là ou y séjournant. Certaines sont excellentes (Thomas Struth dans l’église de Monreale), certaines flottent au dessus du pays (ainsi Richard Long), d’autres ne sont qu’anecdotiques (les photos de vacances de Marina Abramovic ou de Nan Goldin à boltanski.1253048327.jpgStromboli, le travail de circonstance d’Anri Sala à Lipari ou celui de Paola Pivi à Alicudi), non pas mauvaises en soi, mais seulement porteuses regard étranger banal sur les îles et leur paysage. Martin Creed, qui fut le compagnon de Paola Pivi à Alicudi, a ainsi rédigé pour le catalogue un texte autobiographique sur ses expériences dans l’île qui ne déparerait pas un dépliant touristique haut de gamme (et son installation habituelle de ballons jaunes n’a pas grand chose à faire ici). Seul Boltanski avec ses manteaux noirs (Capotti Neri) semble avoir su devenir un peu Sicilien.

Heureusement, tous les artistes étrangers présents ici ne sont pas aussi superficiels. Dans le second lieu de l’exposition, la Fondation Sambuca, Aleksandra Mir, qui réside à Palerme, a créé, avec quatre complices dont le directeur du Musée Riso, un pavillon sicilien pour la Biennale de Venise 2000, qui est en fait une superbe Rolls Royce Silver Shadow

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77 que les cinq amis conduisent de Palerme à Venise : magnifique succédané de la Sicile décadente et aristocratique, point d’exclamation à la fin du Guépard.

Tacita Dean a revisité la légende de Sainte Agathe, Catanaise aux seins coupés, par tous les médias possibles, mais hélas seuls les moulages en plâtre des reliques (étiquetés Droit et Gauche) sont présentés ici. Vanessa  Beecroft est peut-être celle qui traduit le mieux l’esprit des lieux : dans l’église Santa Maria dello Spasimo, elle présente (pour la première fois) des moulages en plâtre de modèles nues à côté de jeunes Siciliennes tout aussi nues, la peau poudrée de blanc. Lesquels sont des vrais corps et lesquelles sont des sculptures ? La sculpture peut-elle être un moulage (on se souvient de la controverse sur le premier Rodin, mais aussi de la Présidente Sabatier moulée par Clésinger et qui, respirant un peu, craquela le plâtre). Et que cette installation cum performance ait eu lieu sous le patronage des spasmes (en fait, spasimo, c’est l’agonie), quoi de moins innocent dans ce pays sensuel et baroque (VB 62.29 dg vb 2008) ?

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La plupart des artistes siciliens présentés ici ont certes un intérêt historique, mais ne sont guère bouleversants. Mais une d’entre eux a réalisé une pièce qui est sans doute la plus forte de toute l’exposition, et en tout cas une belle découverte. Loredana Longo (née à Catane en 1967) travaille à détruire ses souvenirs : ayant soigneusement accroché sur une cloison un assemblage de photos de famille, elle marque ses cibles au feutre rouge puis tire dessus au pistolet. Les verres éclatent, les cadres se brisent, les personnages sont déchiquetés, la cloison est transpercée, les vêtements accrochés de l’autre côté, dans l’autre pièce, chez des étrangers sont criblés de balles eux aussi.
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La cloison est alors découpée et transportée telle quelle ici, portion de mémoire ainsi figée, intrusion de la vie dans le musée. Une vidéo documente l’action de cette jeune femme élégante, belle et tragique, furieusement sicilienne, pleine d’une violence calme et déterminée. C’est un très beau travail sur le privé et le public, l’acte et la mémoire, le doux et le violent (Souvenir #3 Family Portrait, 2009).

Retour en France maintenant.

Photos de l’auteur, excepté Boltanski. Boltanski étant représenté par l’ADAGP, la photo de son oeuvre sera retirée du blog à la fin de l’exposition. 


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