“Le scarabée est un insecte qui se nourrit des excréments d’animaux autrement pus gros que lui. Les intestins de ces animaux ont cru tirer tout ce qu’il y avait à tirer de la nourriture ingurgitée par l’animal. Pourtant, le scarabée trouve, à l’intérieur même de ce qui a été rejeté, la nourriture nécessaire à sa survie grâce à un système intestinal dont la précision, la finesse et une incroyable sensibilité surpassent celles de n’importe quel mammifère. De ces excréments dont il se nourrit, le scarabée tire la substance appropriée à la production de cette carapce si magnifique qu’on lui connaît et qui émeut notre regard : le vert jade du scarabée de Chine, le rouge pourpre du scarabée d’Afrique, le noir de jais du scarabée d’Europe, et le trésor du scarabée d’or, mythique entre tous, introuvable, mystère des mystères. Un artiste est un scarabée qui trouve, dans les excréments mêmes de la société, les aliments nécessaires pour produire les oeuvres qui fascinent et bouleversent ses semblables. L’artiste, tel un scarabée, se nourrit de la merde du monde pour lequel il oeuvre, et de cette nourriture abjecte il parvient, parfois, à faire jaillir de la beauté.”
Wajdi Mouawad
Voyage, Entretiens avec Hortense Archambault et Vincent Baudriller pour le festival d’Avignon 2009