1. En quelques mots, peux-tu te présenter ?
Consultant en management, blogueur et passionné par les technologies de l'information.
Je m'intéresse à tous les grands changements que connaissent les entreprises et la société.
2. Tu as créé LaGenerationY.com, qui est un blog dédié aux analyses et tendances générationnelles. D'où t'es venu cet intérêt pour cette thématique ?
L'émergence d'un web mondial et l'arrivée d'une génération de "digital natives" {natifs du numérique} va, je le crois, profondément modifier la façon dont nos sociétés fonctionnement.
Cette évolution va bien au delà d'une remise en cause de nos modes de fonctionnement. Des notions aussi fondamentales que le travail, la famille ou la vie privée n'ont déjà plus la même signification pour tous.
Malgré son apparente intangibilité, le contrat social évolue, rendant la thématique générationnelle passionnante à mes yeux.
3. Quelle est ta définition de la génération Y. Au fond, est-ce réellement une question d'âge ?
En France, on retient le plus souvent les personnes nées entre 1978 et 1994 pour parler de la génération Y. De fait, la sociologie classe les individus en génération (Baby-boomers, Génération X, Y, etc.) en se basant sur l'âge.
L'idée est d'étudier des "cohortes" de personnes nées sur des périodes proches pour discerner des tendances de fond. L'âge est ici une donnée d'entrée qui sert pour une analyse au niveau macro.
On va par exemple s'intéresser au contexte économique, politique et technologique qui a vu grandir une génération en postulant que cela aura une influence sur sa conception de la vie et du travail.
Un point important toutefois: les tendances générationnelles obtenues ne sont que des tendances. Elles constituent une grille d'analyse intéressante pour comprendre un groupe mais ne peuvent en aucun cas résumer un individu.
Il est donc normal de connaître des personnes qui ne correspondent pas du tout aux grandes tendances de leur génération (ex : personne âgée surdouée de l'informatique, jeune refusant d'avoir un téléphone portable, etc.).
Ces exemples ne remettent pas en cause l'analyse générationnelle mais viennent rappeler que la tendance n'est qu'une tendance.
Au même titre que le "français moyen", même s'il n'existe pas réellement, reste une construction intellectuelle intéressante pour comprendre notre société.
4. Comment cette problématique "générationnelle" est-elle abordée aux Etats-Unis ? Quelles différences avec l'Europe et plus spécifiquement la France ?
La société française a une tendance naturelle à privilégier l'expérience sur la nouveauté. Cette tendance se retrouve dans l'entreprise, où les évolutions et la courbe des salaires restent très fortement corrélées à l'âge.
On retrouve également cette tendance en politique, comme en témoigne la composition du parlement français où seuls 22% des députés ont moins de 50 ans.
A l'inverse, la société américaine, fondamentalement plus optimiste, envisage la jeunesse comme un espoir. Une chance de mieux faire. La jeunesse n'est donc pas perçue comme un handicap pour rechercher un emploi où participer à la vie de la cité.
Même si les jeunes diplômés américains connaissent des difficultés liées à la crise, leur sort est nettement plus enviable car ils n'ont pas à convaincre les employeurs de l'intérêt d'intégrer des jeunes dans leurs équipes.
Par ailleurs, les employeurs américains se projettent plus spontanément vers l'avenir et l'après crise et se préparent dès maintenant à affronter un contexte de pénurie de talent.
La question de l'intégration et la fidélisation de la génération Y est donc vécue plus intensément qu'en France.
5. Avec l'élan des médias sociaux, l'e-réputation et la marque employeur sont d'actualité et prennent en ampleur. Quels sont les enjeux liés aux digital natives ?
Les notions d'e-réputation et de marque employeur sont encore récentes au niveau de l'entreprise. Les projets qui émergent sont donc souvent perçus comme déconnectés des enjeux opérationnels, voire "gadget".
Et de fait, il n'est pas rare qu'une fonction support (RH ou communication) s'engage seule dans un projet d'e-réputation ou de marque employeur, parfois poussée par la mode.
Le projet devient alors "la chose" du service et ne capitalise pas sur les autres politiques mises en œuvre par l'entreprise (gestion prévisionnelle des emplois, marketing, etc.), accentuant l'aspect "déconnecté" de ce type de projet.
De leur côté, les digital natives sont déjà massivement présents sur le web et ont déjà acquis un certain nombre de réflexes: être visibles sur les réseaux sociaux, googler le nom de leur futur responsable, regarder les profils de leur collègues, etc ...
Je les crois en revanche moins intéressés par la lecture des pages web officielles type "Nos valeurs" dont ils sentent le côté parfois artificiel.
Ils se tourneront plus naturellement vers leur réseau ou les sites de notation d’entreprise pour obtenir des informations sur l'environnement de travail.
6. Pour toi, comment évoluera le débat en France dans les 5 prochaines années à venir ?
La seule affirmation que l'on puisse faire est que paysage de l'entreprise sera profondément modifié. Sauf bouleversement, les baby-boomers auront massivement quitté l'entreprise.
Dans le même temps, la majorité de la génération Y sera en activité, représentant près de la moitié de la population active.
Je fais le pari qu'une majorité d'entreprise aura intégré le management générationnel dans le cursus de base du manager.
Et l'harmonie générationnelle règnera ... à moins que les membres de la génération Z, dont les ainés auront 20 ans en 2014, ne se décident à rebattre les cartes, remettant au goût du jour l'affirmation de Cioran selon laquelle "le progrès est l'injustice que chaque génération commet à l'égard de celle qui l'a précédée".