La barbe de trois jours, le regard malicieux, toujours prompt pour des blagues de potaches, légèrement fantasque mais professionnel sous toutes les coutures de sa veste noire, Yves-Marie Le Bourdonnec détonne dans le milieu de la boucherie et étonne ses clients.
Quand je serai grand, je serai boucher
Vous en connaissez beaucoup des petits garçons qui veulent être boucher à neuf ans ? A cet âge, c’est rarement une vocation mais plutôt une punition que les parents brandissent « si tu ne travailles pas bien à l’école, tu finiras boucher ». Pour Yves-Marie Le Bourdonnec, ce métier est une évidence. Elevé en Bretagne, ce gringalet vivait dans une ferme où un boucher de campagne venait régulièrement tuer une vache, un chevreau ou un cochon. Pour Yves-Marie qui regardait cet homme travailler, ce fut une révélation. Bien que son physique ne jouait pas en sa faveur, il décida de braver les a priori et passa son CAP boucherie en un an au lieu de trois tout en suivant des bouchers de campagne, des champs aux abattoirs, pour apprendre les bons gestes.
De Plouguiel à Paris
Il aurait pu trouver un petit boulot en Bretagne mais la vie parisienne l’attirait. A 15 ans, baluchon sur le dos, Yves-Marie se fait embaucher à la boucherie Besloy à Levallois-Perret. Sur place, il continue d’apprendre avant de rejoindre dix-huit mois plus tard, la ville d’Asnières et la boucherie de monsieur Poulet. Au bout d’un an, ce dernier lui annonce qu’il vend. Ni une, ni deux, Yves-Marie se met en tête de racheter la boucherie traditionnelle de son patron. Petit bémol, il lui faut 400 000 francs et que ce soit dans sa poche ou sur son livret A, on est loin du compte. Du haut de sa majorité nouvelle, il fait le tour des banques en costume pour paraître plus vieux. Les refus s’accumulent sauf à la BNP où il change de stratégie et annonce d’emblée qu’il est le repreneur. Un mensonge qui lui ouvre la porte des crédits et lui permet de prendre la place de son patron.
L’élève croise son maître
Du milieu des années 80 au début des années 90, Yves-Marie est, ce que l’on peut qualifier, un boucher traditionnel. Il connaît son métier, répète les gestes de ses anciens patrons et se forge une clientèle. Mais une rencontre va bouleverser ses connaissances et propulser petit à petit Yves-Marie dans le gratin des bouchers. L’homme dont il croise la route s’appelle Charles Dufraisse. Eleveur dans le Périgord, il a parcouru le monde entier pour comprendre les différents modes d’élevage, définir la meilleure façon de rassir la viande, classer les races selon leur goût et déterminer l’alimentation à fournir à un bœuf pour qu’il offre le meilleur de lui-même. Charles Dufraisse est à cette époque, l’unique éleveur à produire en France du bœuf de Coutancie, du nom du domaine qu’il possède. Limousine et Blonde d’Aquitaine sont nourries de fourrages naturels et de céréales et leur alimentation finale est complétée à la bière. La Rolls de la viande vendue à prix d’or à une poignée de bouchers agréés dont Yves-Marie. A ses côtés, notre boucher bohême prend une magistrale leçon et applique très vite les concepts appris sur le terrain. Désormais, il sait mieux que quiconque sélectionner une bête sur pied et maîtriser la maturation de la viande. Quand la majorité des bouchers se satisfont de vous vendre une côte de bœuf rassise une quinzaine de jours, Yves-Marie pousse jusqu’à quatre semaines. Le résultat est évidemment incomparable et très vite, son nom circule dans l’univers de la gastronomie et des médias. Le chef Alain Ducasse lui passe des commandes et l’Express le fait monter sur le podium des meilleurs bouchers dans la catégorie « faux-filet ».
Côte de bœuf uniquement sur réservation
Entre temps, Yves-Marie a changé d’adresse tout en restant dans Asnières. Avec l’aide financière d’une poignée de clients entièrement acquis à sa cause, il a racheté un fonds nettement mieux placé et décidé qu’il ne fournirait plus les chefs de cuisine mais garderait les meilleurs morceaux pour sa clientèle à condition que celle-ci n’oublie pas de réserver. Venir à l’improviste chez Yves-Marie pour acheter une côte de bœuf, c’est comme vouloir déjeuner dans un trois étoiles sans avoir réservé. Fidèle aux préceptes de Charles Dufraisse, Yves-Marie ne reçoit que des vaches entières quand ses confrères achètent des quartiers en fonction de la demande. Des vaches qui doivent avoir vêlé, n’avoir mangé ni foin ni ensilage et qui ont plus de trois ans et demi. Pour lui, ce sont les critères idéaux pour garantir une viande d’une qualité exceptionnelle à condition de la laisser rassir plusieurs jours, quarante pour une côte de bœuf afin que le collagène disparaisse et que le goût du gras se diffuse dans le muscle. Un chiffre inimaginable pour le commun des bouchers. Mais Yves-Marie Le Boudonnec ne fait rien comme tout le monde. Un boucher qui pose presque nu dans un calendrier ne peut foncièrement pas être comparé à ses confrères. Mais outre ses frasques, ce qui compte chez Yves-Marie, c’est la qualité de sa viande. Indescriptible. Il faut la goûter pour comprendre. Notamment le bœuf Black Angus de Grande-Bretagne ou le Waguy qu’il achète en Espagne issu de la race qui a donné le célèbre bœuf de Kobé au Japon. Du grand art !
Yves-Marie Le Bourdonnec. Boucherie Le Couteau d’Argent. 4, rue Maurice Bokanowski. 92600 Asnières. Tel. : 01 47 93 86 37.
Crédit Photo : Martine Murat
LES COMMENTAIRES (1)
posté le 21 décembre à 11:14
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posté le 25 septembre à 17:07
Huuum! Sa Black Angus est une merveille, et n'a besoin que d'une noisette de beurre, une fois grillée pour faire danser les papilles