Cocoanut Groove, Madeleine Street

Publié le 14 septembre 2009 par Bertrand Gillet
Dieu existe… si, si. Je pense avoir pressenti qu’un dieu, qu’il soit celui des uns ou des autres, ait interféré dans le cours de mon existence. Certaines coïncidences vous renseignent sur l’existence d’une force surnaturelle qui agirait du haut d’un hypothétique paradis, baladant les hommes pions sur le grand échiquier du destin. Je m’explique. Un soir que je plongeais dans le métro pour retrouver la chaleur rassurante de mon foyer, je fus confronté à une expérience bizarre. J’étais épuisé, aussi tout mon corps avait-il décidé d’épouser les moindres lignes de mon strapontin. Je m’étais donc vautré dans un demi-sommeil hagard, bringuebalé que j’étais par la rame de la ligne 14 filant inexorablement dans un train-train d’enfer. Je lisais mon journal, édition du matin mais que l’œil usé ne déchiffre que le soir. Et c’est là que tout s’est précipité. La rame s’arrêta comme tous les soirs à Madeleine, un homme et une femme entrèrent. Ils n’étaient visiblement pas ensemble. Lui se posa rapidement puis sortit de sa besace un pesant volume : A la recherche du temps perdu de Proust. La jeune femme d’une blondeur toute suédoise s’installa en face de moi et se mit à dévorer de façon compulsive un paquet de madeleine. Proust, les madeleines, une suédoise et, ô dénominateur commun  à cet extravagant inventaire d'épisodes hasardeux, la musique qui défilait alors dans le casque de mon baladeur : Madeleine Street de Cocoanut Groove, sobriquet sucré dont s’était affublé un jeune songwriter suédois adepte des gâteaux anglais, des mélodies moelleuses et des souvenirs lancinants. Oui, Dieu existait bien, il m’avait sans doute adressé un signe comme pour me prouver l’importance du moment, de ce disque incroyable que je dévorais littéralement depuis des jours. Jusqu’à présent mon crédo reposait sur les faits, le journaliste ne se refait pas, mais toutes ces certitudes professionnelles avaient été bousculées dans une valse d’événements nouveaux et de mélodies antiques, mélangées dans le shaker des Emotions Universelles. Ouah. 34 minutes passées à l’épreuve de la vérité de l’instant. Ouh. Nous échangeâmes tous les trois un regard inexplicablement complice, puis chacun s’en retourna à ce qu’il faisait mécaniquement. Moi, je restais là, ma bouche bée avachie, suspendue, les yeux incroyablement fixes, pupilles dilatées comme en plein trip. Les dix morceaux y étaient pour beaucoup. Dix chansons coulées dans une double trame musicale échappée d’un seul cerveau, celui d’Olov Antonsson. Ce jeune blanc bec, qui sur la pochette semble sauter pardessus une flaque en un vol quasi angélique, a composé un livre que l’on ne peut plus fermer, deux plumes lui ont permis de traduire les idées qui flottaient dans son esprit. Une plume baroque qui dans un tourbillon instrumental intense et grisant valse sur les partitions de End Of The Summer On Bookbinder Road, The Castle, I Wanted You To Step Into My World et The Looking Glass. L’autre, plus intimsite, a saisi toute la mélancolie de ses historiettes naïves qui se racontent subtilement dans Walking To Madeleine Street, Hummin, Shadow, Lately et Madeleine Street. A Dream Of Two Summers en est le trait d’union, entre folk enfantine et pop ouvragée. Cet équilibre est précis, précieux. Je ne ferai pas l’offense d’énumérer les références qui sont ici clairement affichées. L’essentiel est ailleurs. Parce que l’on reconnaît un grand disque à l’évidence qu’il fait naître en nous. Madeleine Street est donc une évidence. Quelque chose de limpide, pas seulement pour ses assemblages savants, mais aussi et surtout pour la clarté du propos, la vérité des sentiments qui ont présidé à sa création. Ce disque me fait songer à ces tableaux romantiques du XIXe siècle qui plaçaient dans un tourment de couleurs l’homme au cœur de la Nature. Forêts profondes et hautes, océans déchainés hier, avenues urbaines et banlieues ouvrières aujourd’hui. Ce disque charrie tout cela, il le fait de manière amoureuse, passionnelle, exaltée et se paye le luxe d’un ultime ornement : la voix diamantaire et nuageuse d’Olov Antonsson. Dernier romantique d’une longue lignée européenne dont la légitimité n’est plus à démontrer : Chopin, Chateaubriand, Wordsworth, Coleridge, Byron, Blake, Burne-Jones, Weber, Hoffmann, Hölderlin… Je sortais du métro, la chaleur dense s’était alors transformée en une douce moiteur d’été agonisant. Décidément, même la météo trahissait les états d’âme et les impressions cachées dans Madeleine Street. Quand je vous dis que Dieu existe. Et il est peut-être suédois.
http://www.myspace.com/cocoanutgroove