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Pas de hiérarchie des cinq sens ?

Publié le 14 septembre 2009 par Roman Bernard

Continuons le " Festival Philippe Arnaud " entamé hier, avec cet intéressant commentaire contestant l'idée selon laquelle la vue serait le premier des cinq sens. Pour la commodité de la lecture, j'ai mis entre crochets les remarques s'éloignant par trop du sujet principal :

Vous dites de la vue qu'il est le sens le plus important. Plus important pour qui ? Plus important pourquoi ? Plus important pour quoi (en deux mots) ? Plus important au nom de quoi ? Je conteste radicalement cette opinion.
D'abord - on s'en est aperçu lors d'expériences pédagogiques - les individus, pour apprendre, peuvent être soit auditifs, soit visuels, soit gestuels (c'est-à-dire qu'ils ne peuvent apprendre qu'en reproduisant le geste). Vous ne pouvez pas, entre ces tendances, établir de hiérarchie : l'essentiel est que l'information pénètre, et vous ne pouvez affirmer qu'elle pénètre mieux par un mode d'appréhension que par un autre.
Ensuite, on s'est aperçu que les petits enfants aveugles de naissance développaient beaucoup plus vite leur intelligence que les petits enfants sourds de naissance car les mères des premiers faisaient passer beaucoup plus d'informations par leur voix que les mères des seconds par leurs gestes. On s'est également aperçu que des aveugles, placés autour d'une table, discernaient, entre deux ou plusieurs individus, soit des inimitiés soit, à l'inverse, des affinités sentimentales (soit des opinions cachées derrière le discours) qui échappaient totalement aux voyants ...
Enfin, l'importance relative des sens varie avec le temps, avec l'espace, voire avec la classe sociale ou la catégorie professionnelle. Comme l'a établi Robert Mandrou (Introduction à la France moderne, 1500-1640, Albin Michel, 1961 et 1974, pp. 76 et sqq.), à cette époque, les sens majeurs étaient l'ouïe et le toucher. En quoi l'appréhension du monde par les contemporains en était-elle moindre ? Des métiers complets, aussi scientifiques que la médecine, reposent en grande partie sur l'ouïe, le toucher et l'odorat.
Avec l'espace (la classe sociale ou la catégorie professionnelle), l'importance relative des sens varie aussi. Comment pouvez-vous être présomptueux au point de déclarer que tel sens utilisé par telle peuplade de Nouvelle-Guinée est moins important que celui de la vue ? Parce que ce sont des "sauvages" ? Parce qu'ils ont un faible PIB traduit en dollars ? Parce qu'ils ne sont pas actionnaires ? Parce qu'ils n'utilisent pas Internet ? Parce qu'ils ont une faible consommation en équivalents joules ou kw/h ? Parce qu'ils ne sont pas... " Occidentaux " ?
[...]
[I]l existe, entre humains, une multiplicité de modes de communication qui ne passent pas - et loin s'en faut - par la vue. Ne serait-ce que (car je l'ai oublié dans l'énumération précédente), par le toucher. L'enfant qui rejoint sa mère voilée la reconnaîtra aussi (lorsqu'elle le prendra par la main) par son grain de peau, par la sécheresse ou par la moiteur de ses paumes, par la longueur de ses doigts, par la pression de sa prise, par le geste du pouce sur le dos de sa main, par le type de traction qu'elle exercera lorsqu'elle pressera le pas, etc. [...]
Il existe donc, ad libitum, une multiplicité de moyens - beaucoup plus subtils que celui de la vue - qui permettent à un enfant de reconnaître sa mère, quelle que soit la tenue de celle-ci... [...]

À lire aussi, sur le même sujet, la note de lecture de Didier Goux sur Effacement, de Percival Everett.


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