Pour les sceptiques qu’il faudrait encore convaincre, le mois de mars 2009 aura vu l’application concrète d’un concept que l’administration Clinton avait envisagé dès 1992 : la guerre économique.
Le web ne s’y est pas trompé, et la presse l’a promptement relayé : le Pentagone a réalisé les 17 et 18 mars dernier une « simulation de guerre économique ».
L’objet ? Anticiper les modalités selon lesquelles les puissances dans le monde mèneraient une guerre économique, et éventuellement déterminer un vainqueur. Si les détails de cette opération qui s’est déroulée au Laboratoire de physique appliquée de l’Université Johns Hopkins restent confidentiels, des participants ont néanmoins expliqué que seuls des chefs d’entreprises, des universitaires et des gestionnaires de fonds – les responsables de la défense et du renseignement, militaires comme civils observant les objectifs et les stratégies de chaque participants.
Par delà les préoccupations de guerre cybernétique dont les media se font régulièrement les échos, c’est une guerre bien plus réelle à laquelle se préparent depuis quelque temps les Etats-Unis. Mais les rôles semblent s’être inversés : alors qu’au début des années 1990, ces derniers abordaient une nouvelle ère géopolitique en posture de force, les années 2000 voient la puissance dominante concurrencée. Et cela change profondément leur rapport au concept de guerre économique.
Le Président Clinton avait inauguré, avec ses fameux Advocacy Center et war rooms, une période où une seule puissance a vocation hégémonique avait pour but de conserver la suprématie politique, économique et sociale. La guerre froide – où l’éventualité d’une guerre violente et physique n’avait jamais été écartée, voire s’était déportée dans les conflits périphériques – était achevée ; la guerre économique avait commencé. Le rapport « Japan 2000 » symbolise ce tournant : élaboré par la CIA, ce document change le paradigme des affrontements géopolitiques. De fait, de géopolitique, la guerre se mue en économique ; la confrontation, préalablement envisagée entre ennemis clairement identifiés, peut désormais être considérée entre deux alliés, sur un champ bien plus supportable par les populations, car moins visible et plus indolore.
Il n’est pas surprenant que cet exercice de guerre économique ait été mené outre-Atlantique. La réactivité et le pragmatisme ont toujours marqué les politiques américaines en matière économique. Toutefois, à l’heure où la crise économique ébranle les fondements de la puissance des Etats-Unis, déjà remise en cause par une nouvelle donne géopolitique rendue manifeste par les attentats du onze septembre 2001, il est significatif de voir que cette initiative a été pensée avant la contamination de la crise financière dans l’économie réelle (au printemps 2008 selon http://www.Politico.com). La mise en place d’un tel exercice nécessite des mois de réflexion et de paramétrages : autant dire que les stratèges américains prennent depuis longtemps au sérieux la guerre économique.
Ce qui ne semble toujours pas être le cas en France, et plus largement en Europe. Hormis, peut-être, pour l’Allemagne, qui a décidé de rompre sa collaboration avec Areva en janvier 2009, et est depuis 2005 partie au consortium NordStream permettant un approvisionnement plus stable de l’Europe du Nord en Gaz. L’Europe est structurellement dépendante du reste du monde pour son approvisionnement énergétique. Les conséquences des crises entre Ukraine et Russie, quoiqu’éminemment concrètes pour l’Europe, notamment les anciens Pays d’ Europe Centrale et Orientale, n’ont toujours pas donné lieu en 2009 à une quelconque avancée sur une indispensable politique communautaire garantissant une sécurité énergétique à 380 millions de personnes. Il peut y avoir une explication à cet état de fait : bâtie pour construire la paix en Europe, l’Union Européenne n’envisage pas une guerre, quelle qu’elle soit : économique, a fortiori militaire. Cette explication, légitime, ne doit pas servir de légitimité pour écarter toute réflexion sur le sujet : les Etats-Unis n’ont pas dans leur Constitution des dispositions qui en font une nation belliciste par essence, et pourtant ils ne sont pas dupes. Qui veut la paix prépare la guerre, ou pour reprendre le slogan du ministère de la Défense en France : « quand la Défense avance, la paix progresse ».
Or, justement, il semble que la France ne se préoccupe guère de guerre économique, tant en théorie, que dans la pratique. Si elle est une réalité pour des entreprises évoluant dans des contextes ultra-concurrentiel (Suez Environnement, Véolia, Air France-KLM…), nous attendons toujours que les autorités compétentes mènent une réflexion commune, voire réalise une véritable stratégie pour la France en guerre économique. Pourquoi pas un Livre Blanc, suivi d’une politique publique. Il est de la responsabilité des politiques d’inscrire la France dans une stratégie, de considérer le long terme. Il s’agit là d’une question de puissance.
Un point intéressant : c’est l’équipe qui a joué le rôle de la Chine qui a gagné.
Matthieu VITEAU