RECIT DE VOYAGE- Carnets du Japon 1964-1970
Editions Hoebecke, 2004
Je continue de découvrir l'oeuvre de Nicolas Bouvier avec
bonheur. Ces carnets sont les derniers parus, après sa mort. Il s'agit de fragments restés longtemps inédits, écrits lors de son périple au Japon. En 1967, paraît Chroniques japonaises, un texte de commande avant tout historique. Ce n'est qu'après sa mort que paraissent ses
carnets plus intimes et surtout plus critiques.
En effet, Bouvier recherche une écriture qui soient toujours à
cheval entre l'émerveillement, l'apologie et le rejet ; tout au long du récit, on sent que l'écrivain voyageur
souhaite une écriture suffisamment neutre, même si l'on sent toute la difficulté qu'il éprouve à s'acclimater :
"Si l'on comprenait tout, il est évident que l'on n'écrirait rien...On écrit sur le malaise, sur les sentiments complexes qui naissent de deux + deux = trois ou cinq.
Ainsi le voyageur écrit pour mesurer une distance qu'il ne connaît pas et n'a pas encore franchie. Si je comprenais parfaitement le Japon, je n'écrirais rien de ses lapalissades,
j'emploierais mieux mon temps, je ferais -qui sait ?- du Robbe-Grillet en japonais.
Lorsque le voyageur-arpenteur est parvenu à se débarrasser à la fois de l'attendrissement gobeur et de l'amertume rogneuse que suscite si souvent "l'estrangement", et à conserver un lyrisme qui
ne soit pas celui de l'exotisme mais celui de la vie, il pourra jalonner cette distance et peut-être, si le coeur est bon, la raccourcir un peu"
Réflexion sur le récit de voyage donc, sa portée, sa forme, sa philosophie, et découverte en petits fragments de la culture japonaise si étrange : contrairement à dans Chronique japonaise, successions de récits, Bouvier choisit ici des thèmes et donnent son avis dessus ; il y a donc
moins de rencontres, de portraits et plus d"avis" sur la civilisation japonaise. Il est question de l'étiquette omniprésente, très déstabilisante, des
fantômes, de l'absence du bonheur, des suicides, de la littérature ; en bref, tout ce qui fait de ce pays un dépaysement pour quiconque !
Un récit qui est donc moins chaleureux que les Chroniques, plus distancié, qui insiste sur la difficulté de la rencontre.
Le titre évoque le vide de la civilisation japonaise, c'est à dire la toute puissance de l'abstraction, de la frugalité, du "toujours moins".
Ce contact difficile avec le pays n'empêche pas des petites touches d'humour : l'étiquette et ses absurdités, les femmes dites soumises mais en fait très futées....
Pour découvrir le Japon, je vous conseille de lire les deux opus de Bouvier, qui s'opposent et se répondent...Bon voyage !