Pendant plus de vingt ans, Antonio Presti s’est battu contre la pieuvre pour construire et maintenir un parc de sculptures contemporaines dans une vallée du nord de la Sicile. Édiles locaux et Mafia ont tout fait pour le décourager, et l’entreprise n’a été pérennisée qu’il y a trois ans. Les villages de cette petite vallée sont comme éclairés par ces neuf sculptures monumentales de la Fiumara d’Arte. L’une (de Hidetoshi Nagasawa) est enfouie et ne sera dévoilée qu’en 2100; la plus ancienne, de Pietro Consagra, en mémoire du père de Presti, est surplombée par les piliers de l’autoroute Palerme-Messine, comme un défi à cette défiguration du paysage (La matière ne pouvait pas être).
La plus visible d’en bas n’est pas encore terminée, c’est une Pyramide à base triangulaire de Mauro Staccioli, sur une montagne surplombant la baie, exactement sur le 38ème parallèle : espace géant invitant à la méditation, comme une cellule d’ermite loin du monde. On y accède difficilement par une piste impressionnante et soudain, on est face à la mer, face au triangle de la Trinacrie, face à des mystères éternels et insondables.
La plus tendre et mélancolique caresse de son ombre les baigneuses en bikini sur la plage, comme la croix de Brassens à Sète. C’est un Monument à un poète mort, du sculpteur Tano Festa pour son frère Francesco Lo Savio mort à 28 ans, composition équilibrée de formes élémentaires, une fenêtre sur la mer encadrant le ciel et pénétrée d’une barre noire.
Ma préférée est tout en haut, dans le village le plus lointain, est le Labyrinthe d’Ariane, d’Italo Lanfredini, posé en haut d’une colline. L’arche d’entrée dans le labyrinthe semble être une vulve, mais une vue de côté en fait un organe masculin. Sous le signe de cet hermaphrodisme, on chemine entre les parois, jusqu’au centre brillant, fécond et arboré. Sous le soleil sicilien, les pierres chantent et la vue se brouille.
Au bord de la mer, à Castel di Tusa, l’hôtel Atelier sul Mare comprend une vingtaine de chambres conçues et décorées par des artistes, dont Nagasawa et Staccioli. A côté d’artistes connus (j’ai retrouvé avec joie Sislej Xhafa (Hammam) et Fabrizio Plessi), on peut découvrir une chambre sur le thème de l’eau, sur une idée de Danielle Mitterrand, et une autre basée sur l’écriture et les signes conçue par le brigadiste Renato Curcio. Nous avons dormi dans un puits noir ouvert sur le ciel, décor du film Turis Eburnia du Chilien Raoul Ruiz, dans un lit rond sous les étoiles.
Presti est aussi le promoteur de ce très beau projet à Catane.
Consagra et Festa étant représentés par l’ADAGP, les reproductions de leurs oeuvres seront retirées du blog au bout d’un mois; elles restent visibles ici.