Jeudi, le président français se déplaçait dans l'Ain, l'occasion de clarifier la position du gouvernement en matière de taxe carbone. Ce sujet a été l'objet de nombreuses polémiques, déchirant la gauche comme la droite. Voici comment, en l'espace de deux ans, Nicolas Sarkozy a ruiné une occasion historique.
1. En 2007, le Pacte écologique puis le Grenelle de l'Environnement
Au plus fort de la campagne présidentielle, Nicolas Sarkozy découvre l'écologie et le réchauffement climatique. Alors que ces thèmes n'étaient pas évoqués dans sa campagne, il se saisit, comme d'autres, de la popularité de Nicolas Hulot, une fois passée la menace de l'éventuelle candidature à la Présidence de ce dernier, pour s'accaparer certains thèmes écologiques.
Preuve que la défense de l'environnement n'était pas l'une de ses priorités, Nicolas Sarkozy choisit la démarche du Grenelle pour traiter du sujet: un cycle de rencontres qui, si elles ont le mérite de placer la responsabilité écologique sur le devant de la scène, n'en constituent pas moins un douloureux vacarme. De surcroît, comment croire la sincérité de la démarche ? On croyait que Sarkozy et l'UMP avaient soigneusement préparé, 5 ans durant, leur programme politique. Deux poids, deux mesures: les cadeaux fiscaux et autres peines planchers sont votés dans l'été 2007, l'environnement ne mérite que des tables rondes en octobre.
En décembre, la Présidence communique sur l'installation d'un sapin bio dans la cour de l'Elysée.
2. En 2008, le réchauffement climatique... et la diplomatie nucléaire
Tout au long de l'année, Sarkozy évoque brièvement le sujet d'une taxe carbone. Il déploie sa "diplomatie atomique" aux quatre coins de la planète, et surtout chez des dictatures. L'année est occupée par des polémiques à répétition sur la mise en oeuvre des engagements du Grenelle. En octobre, une belle loi est votée à la quasi-unanimité, sans les Verts... pourquoi ? Parce que cette loi est un catalogue de bonnes intentions alors que le vrai sujet - quels moyens pour y parvenir - n'est pas traité. Sarkozy ressert le couvert, notamment, en prenant la présidence de l'Union Européenne au second semestre. En décembre, il se félicite de la conclusion d'un accord européen sur une contribution énergie climat. En fait, cet accord est une tartufferie, minimaliste au possible dans ses ambitions: à peine 4% de réduction des émissions carbone sur son territoire. Trois mois plus tard, les ministres des Finances de 27 Etats européens refusent de s'accorder sur les moyens à y consacrer. On n'oubliera pas non plus, en France, la décision gouvernementale de construire 3 nouvelles autoroutes, ni les facilités accordées à la culture d'OGM.
4. En 2009, la taxe carbone
En janvier, les députés UMP rejettent une proposition de loi émanant des Verts pour "réduire l'empreinte écologique de la France". Cette dernière parlait fiscalité écologique progressive et sociale. Les socialistes s'abstiennent. En juin 2009, les écologistes font une percée historique. Le front commun rassemblé sous la bannière d'Europe Ecologie créé la surprise. Sarkozy saisit la balle au bond, et promet la mise en œuvre prochaine de la taxe carbone, et de nouvelles dépenses pour les énergies renouvelables. Un rapport d'experts, chapeauté par Michel Rocard, rend ses conclusions quelques semaines plus tard. Il recommande une taxe de 32 euros la tonne de C02, un niveau calé sur l'ambition de parvenir à 100 euros d'ici quelques années. Christine Lagarde fait la moue; elle prévient que 32 euros serait trop cher, et que les prélèvements obligatoires ne devront pas augmenter, promesse présidentielle oblige. La gauche socialiste s'emballe contre cette nouvelle TVA. Les sondages plongent. François Fillon dévoile trop précipitamment que la taxe carbone ne serait que de 14 misérables euros, avec une compensation encore très floue de l'inflation inévitable que les ménages les plus modestes allaient subir en retour. Sarkozy reprend la main, et reçoit Cécile Duflot et Jean-Paul Besset, d'Europe Ecologie à l'Elysée. Une semaine plus tard, il livre ses "arbitrages" :
- la tonne de CO2 sera taxée à 17 euros (au lieu de 14),
- un "régime de faveur" est prévu pour 3 secteurs (agriculture, pêche et transports routiers !),
- La compensation fiscale pour les ménage est encore imprécise : Sarkozy se garde de préciser son montant et ses modalités. Il parle juste d'"une réduction d'impôt sur le revenu" et d'"un «chèque vert» pour les foyers non imposables".
- Pour les entreprises, «la taxe professionnelle qui pèse sur l'investissement sera supprimée». Est-ce une figure de style ? La taxe carbone rapporterait 4 ou 5 milliards d'euros par. La taxe professionnelle génère 28 milliards d'euros pour les collectivités locales. Mais elle porte aussi sur la masse salariale. Sarkozy entend-il en réduire qu'une partie ?
- une incitation à l'acquisition d'un véhicule électrique («Un super bonus de 5.000 euros pour l'achat d'un véhicule électrique»). Rappelez-vous les difficultés d'Heuliez à convaincre le Fonds Stratégique d'Investissement de lui prêter 10 millions d'euros pour développer son modèle de voiture électrique...
- «une commission indépendante pour suivre l'évolution des recettes de la taxe carbone» sera créée. Elle sera évidemment bi-partisane.
Une occasion gâchée.
Cécile Duflot livrait sa conclusion à cette douloureuse séquence: "Nicolas Sarkozy nous a menti" a-t-elle déclaré dans une interview à l'hebdomadaire Marianne, samedi 12 septembre. "Il a prétendu que des arbitrages sur le contenu de cette taxe n'étaient pas faits. En vérité, tout était déjà décidé." La taxe carbone ne sera pas progressive en fonction des revenus, elle ne concernera pas l'énergie électrique non plus. Et ceux qui paieront, particuliers ou entreprises, ne bénéficieront pas - et c'est là tout l'enjeu - de compensations et d'encouragement directes systématique. La taxe carbone sarkozyenne est une vraie taxe, faiblement incitative, fortement pénalisante, qui paraît servir des objectifs bien éloignés de la cause verte: renflouer la communication présidentielle, et gratter 4 milliards d'euros de recettes fiscales supplémentaires. "C'est un couteau sans lame" a regretté Jean-Paul Besset d'Europe Ecologie.
- Comment enterrer la taxe carbone ? (Sarkofrance, août 2009)
- Sarkozy, le faux écolo (Sarkofrance, juin 2009)