Pourquoi les fiancés égyptiens ont-ils accueilli avec autant de satisfaction la crise boursière de l’hiver 2008 ? Parce qu’elle a entraîné une chute des coûts de construction, et en particulier celui des ferrailles à béton, un élément essentiel dans la construction des logements, lesquels avaient vu leur prix doubler, et même quadrupler, en l’espace d’un peu plus d’un an (article dans Al-Quds al-‘arabi, octobre 2008). Du coup, bien des rêves de mariage pouvaient enfin être réalisés puisque la coutume veut que le fiancé apporte dans la corbeille de la mariée un logement pour la nouvelle famille.
De fait, le coût du mariage est souvent la principale raison évoquée pour expliquer le fléau social que constitue aujourd’hui le célibat. Publiée à la même époque, une étude du CAPMAS, le service égyptien de la statistique, évaluait à quelque 9 millions le nombre de célibataires de plus de 35 ans (pour une population totale de 75 millions d’habitants).
Sachant que 20 % des Egyptiens vivent en dessous du seuil de pauvreté et que le chômage, dont le taux officiel est estimé à 10%, frappe à 88% des jeunes âgés de 15 à 40 ans (bon article en français dans Ahram Hebdo), on imagine le tour de force que constitue pour la famille du marié la nécessité d’économiser presque 4 années de salaire (43 mois très exactement), soit la somme jugée nécessaire pour fonder une famille (article dans The National, un quotidien anglophone des Emirats)…
Les difficultés sont si réelles que la télévision égyptienne a lancé durant ramadan de l’année dernière un jeu télévisé offrant au jeune couple gagnant l’appartement tellement rêvé ! (Article d’Alexandra Sanders sur Menassat).)
Plus sérieusement, une association d’un village de Haute-Egypte tente d’inciter les familles à se marier « à la Abou Trika » plutôt qu’« à la Drogman », en d’autres termes à opter pour une cérémonie modeste dans le style sérieux et engagé du footballeur international égyptien (voir ce précédent billet) plutôt qu’à la manière du joueur ivoirien, célèbre pour son goût du luxe et du bling-bling (article dans islam-online).
Pour les mêmes raisons, la traditionnelle khatiba (خاطبة, la « marieuse ») semble vouée à disparaître au profit des modernes agences de mariages (مكاتب الزواج ) : 120 pour la seule ville du Caire ! Les sites de rencontres (évoqués dans un précédent billet) fleurissent également sur la Toile avec les risques inhérents à ce média… Car si certaines annonces brillent par leur franchise en suggérant « à celles qui veulent épouser des hommes d’affaires d’envoyer une photo récente et un numéro de téléphone », d’autres exploitent le désespoir et la crédulité des postulants pour monter de véritables escroqueries. En juin 2008, un réseau a ainsi pu être démantelé lorsque des internautes ont constaté par hasard qu’on leur avait envoyé, parfois contre une « avance » de plusieurs milliers de livres égyptiennes, le même portrait de l’épouse saoudienne de leurs rêves (article dans Al-Quds al-‘arabi, dernière page). C’est par centaines semble-t-il que les naïfs désireux de faire un riche mariage se sont fait prendre au piège de quelques photos de comparses locales prenant l’accent du Golfe au téléphone !
Dans ce contexte, le mariage coutumier (الزواج العرفى : encore un billet !) pourrait presque apparaître comme une médiocre solution à une misère sexuelle qui explose désormais en bouffées d’hystérie collective (les feuilletons du ramadan passé s’en étaient d’ailleurs fait l’écho). Est-ce l’explication del’avis juridique (fatwa) émis en avril dernier par la très officielle Dar al-iftâ’ confirmant la légalité, s’il est pratiqué dans les règles, du « mariage saisonnier » (مسيارmisyâr), une forme d’union dans laquelle le couple n’est pas tenu – et même ne doit pas selon les conventions de cet accord – de résider sous le même toit ?
C’est en tout cas l’opinion du journaliste qui commente cette information dans Al-Quds al-‘arabi, en rappelant la complaisance de l’institution religieuse vis-à-vis du pouvoir. On peut en effet s’interroger sur les conséquences de telles unions qui, dans bien des cas, relèvent de formes de prostitution plus ou moins déguisées avec pour conséquence, parmi bien d’autres, la naissance de très nombreux enfants nés de mariages non reconnus civilement.
Le problème, sur lequel se penchent nombre de sociologues, est loin d’être théorique puisqu’un rapport officiel a pu estimer que ce sont quelque 14 000 enfants qui sont nés, en 2005, dans une véritable situation de non-droit juridique. La modification, en avril 2008, de l’article 15 de la « loi de l’enfance » de 1996 qui permet désormais à la mère de déclarer une naissance à l’état-civil apporte une solution. Elle n’est cependant que juridique comme le rappelle un article du Al-Hayat (19 juin 2008) qui évoque cette « bombe à retardement » que constitue l’existence de ces milliers de « bâtards » dans une société qui reste très traditionnelle.
Pourtant les choses évoluent très vite et ces mariages coutumiers ne sont pas tous le résultat des seules circonstances économiques. En effet, on ne peut que faire l’hypothèse d’une réelle évolution des pratiques sexuelles au sein de la jeunesse égyptienne, y compris lorsqu’elle fait jouer en sa faveur la souplesse du droit islamique, quand on constate la multiplication de ce que l’on appellerait, sous d’autres latitudes, des « unions libres ». Selon l’article sur le site Arabonline déjà cité, elles seraient pratiquées par plus de 250 000 étudiants et étudiantes, soit 17 % de la jeunesse universitaire…
Cette évolution des pratiques de la sexualité, on la constate également, comme on le mentionnait la semaine dernière, vis-à-vis du mariage et du divorce, en Egypte comme dans le reste du monde arabe. (La suite au prochain billet !)