"La question de savoir quand la violence est justifiée ne peut pas rester sans réponse, écrivez-vous dans votre livre. D'où vous vient cette obsession ?
En 1980, fraîchement diplômé de l'université Cornell, je me suis rapproché d'un mouvement antinucléaire qui recrutait sur le campus. Ils organisaient un sit-in pour bloquer la construction d'un réacteur à Seabrook, dans le New Hampshire. J'ai décidé de les accompagner. Mais une fois sur place, je me suis demandé ce que nous étions venus faire. D'un côté on m'expliquait que les risques d'accident nucléaire étaient très élevés et qu'une fuite serait dévastatrice, d'où l'importance d'empêcher la construction du réacteur, de l'autre on prônait la non-violence. Je me souviens m'être dit : « Supposons qu'on puisse déterminer le nombre de personnes qui seraient tuées par un accident de la centrale, en tuer un peu moins pour empêcher la construction du réacteur serait-il acceptable en termes d'éthique ? Et si l'on m'assurait que ça l'était, quelle serait ma position ? » C'était bien entendu une façon naïve de réfléchir à la « proportionnalité » des victimes... “Je voulais savoir si les excuses que les hommes avancent pour user de la violence formaient un nombre fini ou infini.”
Par la suite, vous avez passé de longues années à sillonner la planète, avec une prédilection pour les zones de conflit comme l'Afghanistan, le Cambodge et l'Irak. Il y a en vous de l'écrivain bourlingueur aimanté par la violence. Que cherchiez-vous au juste ? Je voulais savoir si les raisons et les excuses que les hommes avancent pour user de la violence formaient un nombre fini ou infini. J'espérais qu'il serait fini et que je pourrais établir ce que j'appelle dans mon livre un « calcul moral » - une jauge, si vous voulez - pour juger de la qualité de ces justifications. Je me suis donc mis à rassembler le plus grand nombre de situations de violence possibles... et ce que j'envisageais au départ comme le matériau d'un simple calcul moral a fini par se transformer en véritable bottin.
Avez-vous le sentiment d'avoir fait le tour de la question ?"